Wounded Knee, la fin des guerres indiennes ?
Au coeur de l'hiver 1890, près de 300 Sioux Oglalas sont tués dans la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud. Longtemps présenté comme la bataille qui mit fin à la résistance indienne, cet événement fut en fait un carnage perpétré par l'armée américaine contre quelques dizaines de personnes qu'on désarmait. Ce massacre avait été précédé par la mort de Sitting Bull, quelques jours auparavant. Cet épisode tragique est devenu le symbole des atrocités qui ont marqué les conflits entre les colons blancs et les peuples indigènes. Dans la mémoire des Amérindiens d’aujourd’hui, cette date est incontournable pour l’affirmation de leur identité, alors que pour les Etats-Unis elle est beaucoup plus occultée. Les débats sont encore nombreux sur les circonstances et le bilan de ce drame...
La fin de quatre siècles de lutte.
Wounded Knee met fin à la résistance farouche, et souvent victorieuse, menée par de grands chefs de guerre Lakota[1]qui ont pour noms : Crazy Horse, Sitting Bull ou Red Cloud contre l'invasion de leur pays par les populations européennes et l'armée américaine. C'est aussi, à l'échelle du continent amérindien, le dernier massacre de la conquête armée des Européens débutée quatre siècles plus tôt par l'arrivée de Christophe Colomb en octobre 1492. Paradoxalement, la grande victoire indienne, la bataille de Little Big Horn (1876) sonne la fin de la résistance indienne, comme un chant du cygne (voir : https://www.pierre-mazet42.com/la-bataille-de-little-bighorn-nest-pas-finie). La débâcle de Custer en fait un martyr pour l’opinion américaine, et le gouvernement ordonne la traque des Sioux. Sitting Bull fuit vers le Canada, Crazy Horse finit par être abattu, et à l’orée des années 1880, les Indiens sont vaincus de fait, malgré quelques résistances, comme dans l’Oregon. C’est alors que se met en place le système des réserves, où les Indiens sont parqués pour être dépendants du bon vouloir des Blancs. En ce qui concerne les Sioux, une grande réserve avait été créée, mais elle est rapidement divisée en six petites parties, pour principalement diviser les peuples lakotas et attiser les dissensions entre chefs ; parmi eux, Sitting Bull et Red Cloud.
La Ghost Dance, révolte spirituelle.
En 1889, un Indien Paiute du Nevada nommé Wovoka eut une vision. Transporté dans l'au-delà, il rencontra le Créateur et vit des Indiens morts depuis longtemps prenant du bon temps dans de magnifiques contrées giboyeuses. Le Créateur fit aussi don à Wovoka d'une danse pour qu'il l'enseigne aux Paiutes. Si son peuple pratiquait cette cérémonie sacrée, le Créateur promit qu'il allait inaugurer un monde nouveau - un lieu où les Paiutes retrouveraient leurs amis et parents décédés, où ils vivraient tous ensemble, libérés de la maladie, de la mort et de la vieillesse, un lieu où le gibier disparu réapparaîtrait et où les non-Indiens disparaîtraient. Ainsi commença ce que les observateurs non indiens des années 1890 baptisèrent « la religion de la Danse des esprits » (Ghost-Dance Religion). De son berceau paiute l'enseignement de Wovoka gagna rapidement l'ensemble des Indiens d'Amérique, notamment les Grandes Plaines, grâce aux mêmes voies ferrées qui avaient tant nui à la souveraineté indienne. Après des années de guerres brutales avec l'armée américaine qui avaient dévasté leurs populations et les avaient confinées dans des réserves où elles ne pouvaient plus chasser les troupeaux de bisons, jadis si nombreux. Des tribus comme les Arapahos, les Cheyennes et les Lakotas (Sioux) trouvèrent dans la vision de Wovoka d'un monde ressuscité une alternative à leur condition de quasi-prisonniers de guerre. A l'automne 1889, les Lakotas et les Cheyennes envoyèrent des délégués au Nevada pour rencontrer Wovoka et apprendre son enseignement. Au printemps suivant les Lakotas tinrent leur première cérémonie de Danse des esprits à Pine Ridge, l'une des six réserves situées dans les Dakota du Nord et du Sud, où les différents groupes étaient désormais éparpillés. Une forte effervescence s'empare des réserves Lakota, les danses se multiplient partout, un vent d'anarchie souffle sur Rosebud et Pineridge. Redoutant fortement les prémisses d'une révolte indienne d'envergure, l'armée américaine s'apprête à intervenir. Le 15 novembre, le chef de l'agence du BIA[2] à Pine Ridge, envoie un télégramme à l'armée : « Les Indiens dansent dans la neige, ils sont déchaînés, ils sont complètement fous. Nous avons besoin de protection, d'une protection immédiate ».
La troupe militaire arrive dans la réserve le 20 novembre et provoque une peur panique, près de 3 000 hommes et femmes fuient la réserve à l'appel de Kicking Bear et Short Bull qui sont les principaux leaders Lakota de la religion nouvelle. Ils se réfugient pour continuer leur danse messianique dans une forteresse naturelle au Nord-Ouest de la réserve, située au sud des Badlands. Le 15 décembre 1890, Sitting Bull qui s'apprêtait à rejoindre les fidèles de la « Ghost Dance » est tué lors de son arrestation par les « Poitrines de fer », les policiers indiens de la réserve. Ironie de l'histoire, l'artisan de la coalition indienne qui avait vaincu Custer est tué par les siens.
Le massacre de Wounded Knee
Pour prévenir le chaos qui menace la réserve, l'armée décide d'arrêter les chefs rebelles. Dans cette liste figure Big Foot, le chef des Lakotas Minéconjou, qui vit près de Cherry Creek au Nord de la réserve. Celui-ci est rejoint par une cinquantaine de fidèles de Sitting Bull, en fuite après sa mort. Cette bande de 350 personnes affaiblies est en route pour Pine Ridge, afin de trouver protection auprès du vieux chef Red Cloud. Les femmes et les enfants y sont en majorité et moins de 50 hommes sont en état de combattre. Ils se déplacent avec des chariots pour transporter leurs tipis et leurs maigres bagages. Le 28 décembre, à l'approche de la butte de Porcupine, ils aperçoivent en contre-bas un camp de l'armée américaine, celui du 7ème régiment de Cavalerie reconstitué après la mort de Custer. Après tractation, les soldats conduisent les indiens au bord d'un ruisseau appelé Wounded Knee Creek que les Lakotas appellent « Chankpe Opi Wakpala ». La troupe militaire formée de 500 hommes encercle le camp de tentes et dispose de 4 canons Hotchkiss à tir rapide qu'ils mettent en position de tir sur une butte vers le camp indien. Très affaibli par une pneumonie, le chef Big Foot convainc le colonel Forsyth, commandant de la troupe, qu'il n'a aucune intention hostile. De toute façon, vu le rapport de force en présence, toute résistance aurait été un pur suicide.
Le matin du 29 décembre, le Colonel Forsyth ordonne aux guerriers de se rassembler au centre afin d'être désarmés. Pendant ce temps, les soldats fouillent les tipis sans ménagement pour les femmes et les enfants à la recherche d'armes cachées, l'émotion gagne les deux camps. Yellow Bird, homme médecine, entonne un chant de la danse des Esprits et exhorte les guerriers à se battre, les soldats deviennent très nerveux. Un militaire empoigne un guerrier sourd pour lui enlever sa carabine. Un coup part, c'est la panique, des coups de fusils partent de part et d’autre déclenchant une tuerie épouvantable. Le combat en face à face se déchaîne, à coup de fusil, de matraque, de couteau. Big Foot essaie de se relever pour calmer ses hommes, il est fauché par une rafale. Les soldats se replient pour laisser les canons à tir rapide Hotchkiss entrer en action. A raison de 50 coups par minute, ils font de terribles ravages auprès des Indiens surpris qui essaient en vain de s'enfuir. Après les salves meurtrières d'obus, les cavaliers prennent le relais et pourchassent les Indiens en fuite, n'épargnant ni les femmes, ni les enfants, les achevant à coup de fusil, de pistolet ou de sabre. En moins d'une heure tout était terminé, le champ de bataille offrait le spectacle d'un vrai carnage. Près de deux tiers des Indiens étaient décimés. On releva officiellement 154 morts et 50 blessés du côté Lakota et 25 soldats décédés et 39 blessés. Dans la soirée, le blizzard se leva, gelant sur place les morts et les mourants. Les victimes furent enterrées dans une fosse commune par l'armée le 2 janvier 1891.
Après Wounded Knee.
Depuis le début, les Indiens-Américains ont participé activement aux débats sur la signification de Wounded Knee. L'un des premiers témoins de l'événement était un jeune médecin dakota, Charles A. Eastman, qui avait soigné beaucoup des survivants du massacre et émis un jugement cinglant dans son livre « From the Deep Woods to Civilization ». Quel que soit le mécontentement manifesté par les Lakotas dans la Danse des esprits, le mouvement était non violent, assène Eastman, et constituait une réponse logique aux injustices créées par le système corrompu des réserves. « Il n'y a pas eu de "révolte indienne" » en 1890-1891, écrit-il. « Il faudrait imputer la responsabilité des troubles aux politiciens malhonnêtes, qui ont commencé par voler les Indiens par l'entremise de mandataires incapables, puis les ont persécutés et, pour finir, paniqués, ont appelé les forces armées pour les éliminer. ». Dès 1903, des chefs lakotas ont élevé à Pine Ridge un monument, qui porte cette inscription : « Beaucoup de femmes et d'enfants innocents qui ignoraient le mal sont morts ici », au-dessus de la tranchée dans laquelle les fossoyeurs avaient empilé leurs cadavres.
Wounded Knee aujourd’hui.
Plus de quatre-vingts ans après le massacre, le 27 février 1973, Wounded Knee a été le théâtre d’un affrontement entre les autorités fédérales et les militants de « l’ American Indian Movement ». Ce jour-là, près de trois cents Sioux Oglala ainsi que des sympathisants de la cause indienne se rendirent au village de Wounded Knee et l’occupèrent pour exiger qu’on reconnaisse leurs droits et leur terre. Cet évènement est raconté dans un livre publié par les « Akwesasne Notes »en 1973 : « Voices from Wounded Knee ». En quelques heures, plus de 2.000 agents du FBI, des policiers fédéraux et des représentants du Bureau des affaires indiennes cernent la ville et organisent un blocus avec des véhicules blindés, des mitrailleuses etc. Le siège dura 71 jours et fit deux morts dont Franck Clearwater, un Indien qui se reposait dans une église. Une paix fut signée et les deux camps acceptèrent de désarmer. Les Indiens avaient instauré une communauté remarquable, avec des cantines communautaires, un service de santé et un hôpital, au sein du territoire assiégé.
Même si la mémoire populaire considère le massacre de Wounded Knee comme la fin du mouvement de la Danse des esprits, la réalité est bien plus complexe. Wovoka a enseigné jusqu'à sa mort, en 1932. Des variantes de la Danse ont persisté dans plusieurs communautés autochtones tard dans le XXe siècle, y compris, clandestinement, à Pine Ridge même. Les privations qui ont déclenché la Danse des esprits ont continué, elles aussi. D'après le recensement de 2010, 44 % des personnes à Pine Ridge vivent en dessous du seuil de pauvreté, l'un des taux les plus élevés des États-Unis ; 80 % des résidents sont au chômage et le taux de mortalité par diabète sur la réserve est trois fois plus élevé que dans l'ensemble de la population états-unienne. A la place des affrontements armés avec la cavalerie américaine du XIXe siècle, les Lakotas d'aujourd'hui sont exposés à une violence structurelle impitoyable qui, aussi sûrement que les mitrailleuses Hotchkiss de jadis, détruit leur vie et sape leur culture.
Pour en savoir plus :
https://www.academia.edu/7842255/Le_massacre_de_Wounded_Knee
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