Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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L’unique faiseuse d’anges exécutée.

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Le 30 juillet 1943, au petit matin, un fourgon mortuaire attelé de deux chevaux pénètre dans l'enceinte du cimetière parisien d'Ivry. Devant le carré des suppliciés, le corps décapité d'une femme est mis en bière, puis inhumé ; personne n'a réclamé le cadavre, pas même la famille de la défunte. Une heure plus tôt, la Cherbourgeoise Marie-Louise Giraud, figure emblématique de l'histoire de la répression de l'avortement sous Vichy, avait été guillotinée dans la cour de la prison de la Petite-Roquette par le bourreau Jules-Henry Desfourneaux. Elle fut la seule « faiseuse d'anges » à être exécutée pour ce motif.

 

L’aboutissement d’un long chemin répressif. 

 

Si la IIIème République s’est montrée libérale sur le plan de l’extension des libertés publiques (loi sur la presse, la liberté d’association, la séparation de l’Église et de l’État), elle ne s’est guère montrée généreuse en matière de droits des femmes. Le droit de vote ne leur est toujours pas accordé, à l’intérieur du couple, la femme est toujours en situation d’infériorité.

Marie-Louise est condamnée à cause d’une loi établie par Vichy, le 15 février 1942.  Depuis les années 1870, l’avortement est au centre des débats politiques, juridiques et médicaux.  Dans un contexte de rivalités exacerbées avec l’Allemagne se constitue un groupe de pression anti malthusien et nationaliste qui s’inquiète du déséquilibre démographique en défaveur de la France, groupe qui est très présent dans la presse. Cette crainte est renforcée par la saignée démographique provoquée par la Grande Guerre qui induit une baisse des naissances. Des politiques, des juristes et des médecins voient dans l’avortement la cause première de la dépopulation : c’est un péril national qu’il faut endiguer. Pourtant l’avortement, dans le Code civil (article 317), est un crime jugé aux Assises : une femme qui a avorté encourt jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et la « faiseuse d’anges » jusqu’à 5 ans. Dans l’entre-deux-guerres, les parlementaires vont chercher à accentuer la répression contre l’avortement et les politiques contraceptives. La loi du 31 juillet 1920 interdit toute propagande pour les méthodes anticonceptionnelles et l’avortement. Elle vise les néomalthusiens qui prônent une restriction des naissances mais elle ne modifie pas la nature de l’avortement qui reste un crime. Les députés semblent adoucir la législation le 23 mars 1923 en correctionnalisant l’avortement. L’avortement devient un délit pénal et les peines sont réduites, jugées par des professionnels et non plus par un jury d’Assises. Il s’agit d’une revendication ancienne des natalistes qui considèrent ces derniers trop laxistes : entre 55 à 80 % des inculpées pour avortement étaient innocentées, le nombre tombant à 25 % avec les juges professionnels. Mais, dans les faits, la répression s’en trouve fortement accentuée. Ainsi Vichy n’a plus qu’à s’engouffrer dans une voie de plus en plus répressive, avec une opinion publique que le régime précédent avait contribué à façonner. La loi du 15 février 1942 renforce drastiquement la répression de l’avortement. Ceux ou celles qui pratiquent des « manœuvres abortives », jusqu’alors passibles de dix ans de prison, deviennent des "assassins de la patrie". Leur « crime contre la Nation » leur vaut d’être jugés devant l’instance d’exception créée par Pétain, le Tribunal d’État, où ils encourent la peine de mort. 

 

Une héroïne ordinaire.

 

Rien ne prédestinait Marie-Louise à devenir l’héroïne tragique d’un procès historique. Née en 1903, à Barneville, près de Cherbourg, elle grandit à la campagne, entre un père jardinier et une mère domestique. À 12 ans, elle échoue au certificat d’études et elle est placée à son tour. Elle traverse la Première Guerre mondiale sans en comprendre la gravité, obsédée par le désir d’échapper au destin de sa mère. À 18 ans, en 1921, elle tente sa chance à Cherbourg où elle devient serveuse dans un café-restaurant. Au contact des hommes et de l’alcool, elle goûte une liberté inédite. Cette jeune fille brune au visage banal, mais aux courbes généreuses, séduit par ses manières peu farouches. Grisée par sa nouvelle vie, elle dépense l’argent qu’elle n’a pas. Au point de commettre plusieurs vols qui lui valent une première condamnation symbolique puis deux peines de prison d’un et deux mois. En 1929, apparemment assagie, elle se marie avec Paul Giraud, un officier de la marine nationale avec lequel elle a eu cinq enfants, dont deux seulement ont survécu : un fils, né en 1936, et une fille, née en 1939. La guerre, l’Armistice, Pétain, l’arrivée massive des Allemands qui hérissent la ville de croix gammées, la Résistance… Rien de tout ça ne semble la concerner. Paul a été blessé et, désormais à demeure, il devient taciturne, il boit souvent et l’aide rarement. Elle se console en prenant un amant. Tout commence à la fin de l’été 1940, lorsque Gisèle, sa voisine de palier, quémande son aide pour avorter. Sans savoir comment s’y prendre, Marie-Louise accepte de lui « rendre service » et s’exécute avec une poire à injection remplie d’eau savonneuse. Puis, quelques jours plus tard, Gisèle sonne de nouveau à sa porte pour la remercier de son succès, et lui offre en échange un phonographe.

L’année suivante, elle provoque un deuxième avortement, celui d’une jeune femme ayant eu une liaison adultère alors que son mari était en captivité. Cette fois, elle accepte la pratique contre le paiement de 1 000 francs. Et, une nouvelle fois, tout se déroule parfaitement. La blanchisseuse comprend alors le parti financier qu’elle peut retirer de cette activité, sans véritablement se soucier des poursuites. Jusqu’en octobre 1942, les avortements s’enchaînent, malgré le décès de Louise M., l’une de ses patientes qui a succombé à une septicémie. Elle a alors pour complice les trois voyantes Eulalie Hélène, Jeanne Truffet et Augustine Connefroy, auprès desquelles les femmes confient leurs grossesses non désirées. En lui rapportant entre 600 et 2000 francs, cette activité permet ainsi à Marie-Louise de s’acheter une modeste maison, au 44 rue Grande-Vallée. Au total, elle fait avorter 27 femmes, et pour arrondir ses fins de mois, loue aussi ses chambres à des prostituées de Cherbourg. Les affaires allant bon train, Marie-Louise s’est fait beaucoup d’ennemis, à commencer par son mari, humilié autant par le mépris que la réussite de sa femme. Il y a aussi Alexandrine, la domestique que Marie-Louise a encouragé à "distraire" Paul, et certaines des prostituées qui s’estiment exploitées. Les voisins ne sont pas en reste qui la jugent honteuse et vulgaire. Qui de ces détracteurs a finalement décidé de la dénoncer ? Les détails de la lettre anonyme qui déclenche l’arrestation prouvent que le corbeau est un proche. Paul et Alexandrine semblent les plus suspects, d’autant qu’ils témoigneront à charge.

 

Un procès pour l’exemple. 

 

Arrêtée le 23 octobre 1942, Marie-Louise passe aux aveux, convaincue qu’elle s’en sortira avec une peine de prison légère. Même déférée à Paris, elle reste optimiste. Durant le procès, les 7 et 9 juin 1943, elle commence à s’inquiéter devant les mines dégoûtées des juges qui vont décider de son sort. Commence alors le défilé de ces femmes, honteuses de voir leur vie et leurs faiblesses exposées devant ces hommes. Elles sont obligées de raconter, l’une le mari prisonnier qu’elle a trompé, l’autre la misère qui lui interdisait d’avoir un enfant, la troisième l’amant qui l’a séduite et abandonnée. Elles subissent sans brocher les leçons de morale du président Devise et le mépris du procureur. Certaines chargent Marie-Louise et expliquent qu’elle leur a forcé la main. D’autres restent dignes et disent timidement qu’elle leur a rendu service comme elles l’avaient demandé. Quand l’accusation requiert la peine de mort, elle tombe des nues, mais son avocat la rassure : on ne condamne pas une femme à l’échafaud, encore moins pour des avortements ! En revanche, elle risque les travaux forcés à perpétuité… De nouveau, elle ne comprend pas, elle n’y croit pas. L’heure du verdict arrive enfin: « Accusées, levez-vous! » Ses complices écopent de peines de cinq à dix ans de prison. Puis vient son tour. Pour « l’ignoble besogne », pour « sa conduite et sa moralité des plus mauvaises », elle est condamnée « à la peine de mort et, conformément à l’article 12 du Code pénal, elle aura la tête tranchée ». La mort, pas la perpétuité ! La grâce présidentielle, que son avocat lui assure acquise, ne viendra jamais. Pétain a étudié la demande personnellement, mais il veut un exemple. Le 30 juillet, à 5 h 25, dans la cour de la prison de la Petite Roquette, Marie-Louise Giraud est la première et dernière femme exécutée pour avortement. À son avocat qui l’assistait avant l’exécution, elle a donné, en lui demandant de la remettre à ses enfants, une des mèches de cheveux que le bourreau venait de lui couper.

Ce procès historique, pourtant longtemps passé inaperçu, est devenu célèbre grâce au livre « Une affaire de femmes »écrit par l’avocat Francis Szpiner en 1986, qui fut ensuite adapté au cinéma par Claude Chabrol en 1987. Si Chabrol n’est pas tendre avec son héroïne, dont les actes semblent davantage motivés par la cupidité que par un quelconque sentiment de compassion, il a néanmoins permis de mettre en lumière cette condamnation inédite, celle de Marie-Louise Giraud, celle de la seule femme guillotinée pour avoir été faiseuse d’anges.

 

Les dernières exécutions. 

 

Marie-Louise Giraud fait partie des cinq femmes guillotinées par le régime de Vichy pour crimes de droit commun. La dernière exécution d’une femme était celle de Georgette Thomas en 1887. Si la remise en œuvre de la guillotine par Vichy ne doit pas nous surprendre, en revanche, on peut s’interroger sur l’attitude de Vincent Auriol (avocat et socialiste), qui a refusé la grâce de quatre femmes. 

Germaine Leloy, veuve Godefroy, est guillotinée le 21 avril 1949 pour avoir assassiné son mari à coups de hache. Elle est la dernière guillotinée française. À partir de 1949, les femmes condamnées à mort sur le territoire français sont graciées jusqu’à la toute dernière. Elle se nomme Marie-Claire Emma et sa peine est commuée en perpétuité par le Président Pompidou suite à sa condamnation le 26 juin 1973 pour l’assassinat de son mari.

 

 

Pour en savoir plus :

 

 

Francis Szpiner, Une affaire de femmes. Paris, 1943. Exécution d'une avorteuse, éd. Balland, Paris 1986

 

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faiseuse.pdf

 



18/10/2022
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