Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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Louis Riel : héros des « Bois Brûlés »

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Moitié indiens, moitié européens, les « Bois-Brûlés » du Canada appartiennent à la grande aventure de l'Ouest. Si le Québec célèbre aujourd'hui leur révolte, le sort de ces Métis francophones et catholiques laissa longtemps l'opinion indifférente. Depuis les années soixante, des intellectuels, des sociétés de folklore et de francophones luttent pour la reconnaissance d'une identité métisse et de leurs droits. Batoche[1] a été consacrée site national et le gouvernement accorde des millions de dollars canadiens afin d'éditer les écrits de Louis Riel, héros et martyr de la cause des Bois-Brûlés. Pour comprendre l’enchainement des faits qui conduisit à la quasi-disparition de la « nation » métisse, il faut remonter en 1867 à la fondation du Canada. 

 

La naissance du Canada. 

 

Jusqu'au 1er juillet 1867, le Canada était constitué de petites colonies indépendantes sous domination britannique. Ce jour-là, la Constitution du Canada entre en vigueur. Souhaitant s'affranchir de la tutelle du Royaume-Uni et s'unir face aux visées expansionnistes des États-Unis, les colonies du Canada-Uni (union en 1840 du Haut-Canada qui correspond à l'actuel Ontario, majoritairement anglophone, et du Bas-Canada qui correspond au Québec, majoritairement francophone), du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse obtiennent, à l'issue de négociations avec le Royaume-Uni, d'être transformées en un « dominion ». Celui-ci dispose d'une certaine autonomie sans pour autant être entièrement indépendant. A cette date, l'Ouest canadien (actuels Alberta, Saskatchewan et Manitoba) est géré par la Compagnie de la Baie d'Hudson[2]. Mais il connaît à son tour des rébellions, notamment celle menée par Louis Riel, un métis francophone, pour protéger les droits des métis, des francophones et des Amérindiens exclus des négociations de la Confédération. Il s'est battu contre la construction des chemins de fer et l'arpentage des terres par les anglophones à partir des années 1860. La rébellion majeure qu'il commande entre 1869 et 1870, celle de la Rivière Rouge, a conduit à la création de la province du Manitoba, qui devient le 15 juillet 1870 la cinquième province de la Confédération canadienne.

 

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Le nationalisme Métis

 

Dès la seconde moitié du XVIIIème siècle, des coureurs de bois français naviguent sur les Grands Lacs. Pierre Radisson et son beau-frère, Groseilliers, parcourent le voisinage de la baie d'Hudson où ils rencontrent les Crée et les Assiniboin ; d'autres s'aventurent sur le Haut-Mississippi, alors territoire des Sioux. En 1670, les Anglais, en quête de fourrures, construisent des postes au fond de la baie ; la Compagnie des Aventuriers de la baie d'Hudson espère tirer grand profit d'une région qui s'annonce riche en fourrures de qualité. Dans les années 1680-1690, les Français élèvent des forts et une chaîne de postes entre le lac Supérieur et le Missouri, pour lutter contre la concurrence anglaise et pour drainer l'immense réservoir à fourrures où ils règnent en maîtres incontestés.

En canot d'écorces et à cheval, les coureurs de bois sillonnent l'intérieur, s'arrêtent dans les tribus et hivernent chez l'Indien. Quelle que soit la tribu, on conçoit mal des échanges commerciaux sans une alliance matrimoniale : la familiarité des contacts conduit le coureur de bois à prendre femme dans le groupe qu'il côtoie régulièrement. Il sait qu'il pourra compter sur sa parenté indienne ; quant à la squaw, compagne indispensable pour survivre dans l'Ouest, elle prépare les peaux, accommode les aliments et choisit les plantes qui guérissent. Auprès d'elle, le coureur de bois français apprend la langue, s'initie aux coutumes, trouve le réconfort dans l'affection d'une famille et s'attache à un pays.

Pendant 200 ans, la Compagnie de la Baie d’Hudson a la mainmise sur la vaste région nord-américaine que représente le bassin hydrographique de la baie d’Hudson. En 1868, en vertu de l’Acte de la Terre de Rupert[3], la Grande-Bretagne acquiert ce territoire et en transfère la propriété au nouveau Dominion du Canada. Cette transaction constitue le plus important achat de biens fonciers jamais réalisé au Canada ; le territoire acquis comprend la majorité des terres qui forment aujourd’hui les provinces des Prairies, ainsi que des portions du nord du Québec, du nord de l’Ontario, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. Ainsi, le Canada repousse ses frontières de colonisation et la Compagnie obtient 300 000 livres[4] et 20 pour cent des terres arables. En 1870, le transfert devient officiel et le titre de propriété de la Terre de Rupert (et du Territoire du Nord-Ouest adjacent) est remis au Canada. Les Inuits, les Premières Nations et les Métis qui vivent dans cette vaste région ne sont consultés dans aucune de ces négociations. Les Métis de la rivière Rouge, qui sont les plus immédiatement touchés, prennent les armes, sous la conduite de Louis Riel. Le nationalisme métis s'appuie sur un profond sentiment anglophobe, un catholicisme militant et un individualisme forcené. Ses revendications s'articulent autour de trois axes : la terre appartient aux Métis ; ils souhaitent conserver leurs particularités, la langue française, la religion catholique et leur mode de vie ; enfin ils veulent se gouverner eux-mêmes. Fils aîné du « Meunier de la Seine », Louis-David Riel va s'imposer comme le chef des Métis. Il a fait d'excellentes études à l'école de Saint-Boniface, puis au petit séminaire de Montréal. Son sérieux et son intelligence le destinaient à la prêtrise, seule carrière possible alors pour un « sang-mêlé ». Après la mort de son père, en 1864, il revient à sa terre natale. Orateur enflammé, bilingue, le jeune Louis est très croyant, presque mystique. Cultivé et ambitieux, il s'engage avec fougue pour « la cause de son peuple ».

 

La rébellion de Rivière Rouge.

 

Sachant que la transaction ouvrait les vannes aux colons protestants anglophones, ils se préparèrent à résister et Louis Riel se retrouva engagé comme chef. Ce fut le début de la première rébellion de la rivière Rouge. En février 1870, Riel et les Métis envoyèrent des émissaires à Ottawa afin d’engager des négociations pour une entrée équitable de la colonie dans la jeune Confédération canadienne (qui datait de 1867) en tant que Province. Les membres du parti canadien œuvraient cependant contre le gouvernement métis qui, le 17 février, arrêta 48 d’entre eux. Le premier accusé, Boulton, fut condamné à mort pour complot mais il fut aussitôt gracié par Riel. Thomas Scott fut jugé à son tour, et également condamné à mort pour refus d’obéissance. Riel, contrairement à sa décision pour l’autre condamné, refusa de gracier celui-ci. Scott fut alors fusillé le 4 mars 1870. C’est l’acte fondateur de toute l’affaire Riel, son péché originel.

 

Le 15 juillet 1870 la loi sur le Manitoba admit la nouvelle province dans la Confédération, mais parallèlement, en août, le Premier ministre Macdonald envoya une expédition militaire dans la colonie de la rivière Rouge, au prétexte d’empêcher une intrusion américaine, plus probablement dans le seul but de mater les rebelles. Accablé de soucis matériels et malade, angoissé, Riel se laisse convaincre de séjourner dans un asile à Montréal. Deux ans plus tard, en 1879, il retourne près de Manitoba où il constate la dégradation de la condition des Métis.

 

A la suite de l'accord de 1870, ceux-ci avaient reçu des titres de propriété mais, ignorant la valeur des terres, ils les vendent pour une bouchée de pain. La variole et le whisky frelaté déciment les Indiens. Les Blancs abattent tout le bétail sans distinction, saupoudrent les carcasses de strychnine, empoisonnant gibier et chiens des Indiens. La famine pousse ces derniers à mendier aux portes des forts. Responsables du Dominion et colons se réjouissent des calamités qui accablent Indiens et Métis.

 

Un nouveau gouvernement provisoire. 

 

À la suite des événements de 1869-1870 et de l'immigration massive de colons d'origine anglo-saxonne, de nombreux Métis avaient choisi d'émigrer plus à l'ouest, suivant ainsi les troupeaux de bisons. Ils établissent des communautés, dont la plus célèbre est celle de Batoche, qui est située sur la rive est de la rivière Saskatchewan. Mais, au début de la décennie de 1880, le « progrès » les a rejoints. La venue de colons blancs et la construction du chemin de fer les incitent à tenter, sans grand succès, d'obtenir des titres de propriété pour leurs terres. Ils font parvenir des pétitions au gouvernement fédéral, qui tarde à réagir. En 1884, les Métis décident d'agir. Ils envoient au Montana trois délégués, dont le grand chasseur de bisons Gabriel Dumont, pour convaincre Riel de les aider. Celui-ci se rend donc à Batoche pour organiser la résistance, s'appuyant sur l'expérience de la Rivière-Rouge, quinze ans plus tôt. En mars 1885, il crée un gouvernement provisoire de quinze membres, l'Exovidat, « les élus du troupeau ».

Riel attend un geste du gouvernement pour calmer l'ardeur des militants armés qui se rallient à sa cause. En mars, ces derniers pillent des magasins. Dumont, le second de Riel, tente sans succès un raid sur Fort Carlton ; au retour, il tombe sur la Police montée ; l'affrontement fait douze tués et une dizaine de blessés dans la force fédérale. A Ottawa, les nouvelles de la « révolte des Métis » et des « massacres des Indiens » traumatisent l'opinion publique.

 Mais, la voie ferrée « Canadien Pacifique » avait changé la donne, il permit en effet aux troupes du gouvernement fédéral d’arriver rapidement (deux semaines au lieu de trois mois).

Le 9 mai 1885, les 800 hommes du général Middleton encerclent une centaine de Métis dans Batoche. « Les Tuniques écarlates font merveille » : artillerie et mitrailleuses contre des Métis à court de munitions qui chargent leurs fusils de clous et de cailloux. La chute de Batoche sonne le glas de la résistance : les membres du Conseil sont condamnés à la prison, huit Indiens sont pendus et les deux chefs, Poundmaker et Big Bear, emprisonnés. Dumont et Riel ont réussi à s'enfuir mais, quelques jours plus tard, Riel se rend à la Police montée.

 

Un procès inique.

 

Le dernier acte de la tragédie Riel est son procès. Le lieu où il devait se tenir est en lui-même important car la légalité du choix est, encore de nos jours, contestée. Riel aurait dû être jugé à Winnipeg, mais de peur que le jury lui soit favorable, le Premier ministre Macdonald décida que le procès serait tenu à Regina, capitale des Territoires du Nord-Ouest, où les conditions respectaient moins le droit des accusés : pas de jurés bilingues, jury réduit, pas de juge indépendant mais un fonctionnaire fédéral, etc. Riel arriva à Regina le 23 mai 1885 et resta au cachot pendant deux mois. Il était accusé de trahison. Les six jurés étaient des protestants anglais et écossais. Riel fut inculpé pour six actes de trahison le 20 juillet, à la fois en tant que sujet de la reine et en tant que sujet étranger (il avait pris la nationalité américaine). Le procès débuta le 28 juillet. Ses avocats plaidèrent la démence mais Riel refusa de jouer le jeu, si l’on peut dire, et au contraire prononça un long réquisitoire très sensé sur les droits des Métis. Le jury le reconnut coupable le 31 juillet mais demanda la clémence. Le juge Richardson le condamna à mort. Macdonald refusa que sa condamnation soit commuée.

 

Les Québécois envoyèrent des lettres dénonçant la condamnation d’un francophone par des anglophones protestants. Le Premier ministre ne voulant pas s’aliéner tous ceux qui voulaient que Riel paie pour la mort de Scott, l’appel de Riel fut rejeté et il fut pendu le 16 novembre 1885. Il était clair que sa pendaison ne pouvait que contribuer à persuader les Métis et les francophones qu’ils étaient à nouveau victimes des anglophones protestants.

L'échec de Riel tient avant tout à son isolement politique. La cause métisse n'intéressait pas les Québécois, pourtant francophones et catholiques ; embarrassés par la filiation indienne, ils ne voulaient pas se compromettre aux yeux des anglophones en soutenant un groupe dont on redoutait les visées autonomistes et le discours « nationaliste ».

Une fois apaisée l'effervescence, le silence est retombé sur l'Ouest. Les Métis ont quitté le tipi pour les banlieues de Winnipeg et d'Edmonton où ils sont demeurés en marge de la société canadienne. Batoche a été consacrée site national et le gouvernement canadien a financé la publication des écrits de Louis Riel, héros et martyr de la cause des Bois-Brûlés. Mais comme pour rappeler aux Canadiens que les plaies sont encore à vif, la tombe de Louis Riel a été profanée le 17 octobre 2022.

 

Pour en savoir plus :

 

H. Bowsfield, Louis Riel, le patriote rebelle, Éd. du Jour, 1971.

 

https://www.erudit.org/fr/revues/bhp/2016-v24-n2-bhp02355/1035065ar.pdf

 

Cliquez ici pour télécharger l'article

 

 bois-brule--s.pdf

 

 



[1] Batoche est le lieu du dernier combat de Louis Riel et un symbole de la résilience et du renouveau culturel des Métis.

[2] Cette compagnie commerciale, créée en 1670 par le roi Charles II, avait pour vocation le commerce des fourrures dans le nord du Canada.

[3] La Terre de Rupert, aussi appelée la Terre du Prince Rupert (anglais : Rupert's Land ou Prince Rupert's Land), était un territoire de l'Amérique du Nord britannique qui recouvrait la région centrale et nordique de l'actuel Canada.

[4] L’équivalent de 1, 5 millions de dollars canadiens. 



13/02/2023
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