Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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Les animaux dans le prétoire.

 

 

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En septembre 2015 à Florac, en Lozère (dans les Cévennes), s’est tenu un procès pas comme les autres. Si tout avait l’apparence d’un procès classique (salle de tribunal, président du tribunal, assesseurs, greffier, procureur, avocats, accusé, témoins à charge et à décharge), la procédure était pourtant extraordinaire puisque l’accusé était le loup. Ce vrai faux procès avait pour objectif de favoriser un échange argumenté sur les questions soulevées par la réapparition du loup dans les campagnes. Il s’agissait de créer un espace de discussion équitable et ouvert à toutes les parties, mettant en débat les savoirs, les enjeux sociaux et éthiques que la présence du loup soulève. Le faux procès paraît totalement absurde. Pourtant, en Europe , au cours des XIIIe-XVIIe siècles, des procès d’animaux ont été recensés parmi lesquels un nombre important de cochons, mais aussi des chevaux, des chats, des rats, des moutons, des vaches, des hirondelles, des brebis, des coqs, et bien d’autres encore…

 

L’importance et la nature du phénomène.

 

N’imaginons quand même pas qu’en ces temps-là, les tribunaux étaient colonisés par les vaches et les cochons.  En 1906, l’historien américain Evans dénombre environ 200 procédures judiciaires pour l’Europe occidentale et Michel Pastoureau, un peu plus d’une centaine pour le royaume de France, ce qui, pour quatre siècles constituent un phénomène assez marginal, mais riche d’enseignements sur les rapports de nos ancêtres avec le monde animal. Elles ne peuvent pas être uniquement perçues comme des manifestations de croyances irrationnelles, d’autant plus qu’elles ne sont pas le fait de populations superstitieuses, mais bien au contraire d’hommes de loi cultivés. Les jugements ne sont pas prononcés par des tribunaux populaires oublieux de toute règle, mais bien par des tribunaux légalement constitués qu’ils soient civils ou religieux. La nature du phénomène est d’autant plus difficile à cerner qu’aucun texte évoquant la possibilité de procès contre les animaux n’a été, à ce jour, retrouvé dans toute la chrétienté. Pour tenter d’y voir clair, les historiens ont coutume de distinguer les procès qui relèvent de la justice criminelle ordinaire de ceux qui relèvent des tribunaux ecclésiastiques. L’histoire de la jurisprudence nous offre de nombreux exemples de procès dans lesquels figurent des taureaux, des vaches, des chevaux, des porcs, des truies, des coqs, des rats, des mulots, des limaces, des fourmis, des chenilles, sauterelles, mouches, vers et sangsues. La procédure était différente, suivant la nature des animaux qu’il s’agissait de poursuivre. Si l’animal auteur d’un délit, tel par exemple un porc, une truie, ou un bœuf, il peut être saisi, appréhendé au corps, il est traduit devant le tribunal criminel ordinaire, il y est assigné personnellement.  Mais s’il s’agit d’animaux sur lesquels on ne peut mettre la main, tels que des insectes ou d’autres bêtes nuisibles à la terre, ce n’est pas devant le tribunal criminel ordinaire que l’on traduira ces délinquants insaisissables, mais devant le tribunal ecclésiastique. En effet que voulez-vous que fasse la justice ordinaire contre une invasion de mouches, de charançons, de chenilles ? Elle est impuissante à sévir contre les dévastations causées par ces terribles fléaux; mais la justice religieuse, qui est en rapport avec la Divinité, saura bien atteindre les coupables ; elle en possède les moyens : il lui suffit de prononcer l’excommunication. 

 

Devant la justice criminelle

 

Parmi l’ensemble des animaux cités devant la justice, figure, en tête, le porc. Non que cet animal soit le plus féroce de la création mais parce qu’on le laisse se promener librement dans les rues de villes et des villages et qu’il est donc le plus exposé à commettre des méfaits, notamment en dévorant des enfants. Voici quelques exemples relevés par Émile Agnel (Curiosités judiciaires et historiques du Moyen-âge, Paris 1858).

- Année 1266. — Pourceau brûlé à Fontenay-au-Roses, près Paris, pour avoir dévoré un enfant.

- Septembre 1394. — Porc pendu à Mortaing, pour avoir tué un enfant de la paroisse de Roumaigne.

- Année 1404. — Trois porcs suppliciés à Rouvres, en Bourgogne, pour avoir tué un enfant dans son berceau.

- 17 juillet 1408. — Porc pendu à Vaudreuil pour un fait de même nature, conformément à la sentence du bailly de Rouen et des consuls, prononcée aux assises de Pont de-l’Arche tenues le 13 du même mois.

On incarcérait l’animal, c’est-à-dire le délinquant, dans la prison du siège de la justice criminelle où devait être instruit le procès. Le procureur ou promoteur des causes d’office, c’est-à-dire l’officier qui exerçait les fonctions du ministère public auprès de la justice seigneuriale, requérait la mise en accusation du coupable. Après l’audition des témoins et vu leurs dépositions affirmatives concernant le fait imputé à l’accusé, le promoteur faisait ses réquisitions, sur lesquelles le juge du lieu rendait une sentence déclarant l’animal coupable d’homicide, et le condamnait définitivement à être étranglé et pendu par les deux pieds de derrière à un chêne ou aux fourches patibulaires, suivant la coutume du pays. Un exemple d’exécution est rapporté par Michel Pastoureau (Les animaux célèbres, Bonneton, 201.) : 

 

Une truie âgée d’environ trois ans, revêtue de vêtements d’homme, fut trainée par une jument de la place du château jusqu’au faubourg de Guilbray, où l’on avait installé un échafaud sur le champ de foire. Là, devant une foule hétérogène, composée du vicomte de Falaise et de ses  gens, d’habitants de la ville, de paysans venus de la campagne alentour et d’une multitude de cochons, le bourreau mutila la truie en lui coupant le groin et en lui tailladant une cuisse. Puis, après l’avoir affublée d’une sorte de masque à figure humaine, il la pendit par les jarrets arrière à une fourche de bois spécialement dressée à cet effet, et l’abandonna dans cette position jusqu’à ce que la mort survienne. … La jument fut rappelée, et le cadavre de la truie, après un simulacre d’étranglement, fut attaché sur une claie afin que le rituel infamant du traînage pût recommencer. Finalement, après plusieurs tours de place, les restes plus ou moins disloqués du pauvre animal furent placés sur un bûcher et brûlés.

 

Pourtant les juristes avaient bien conscience de l’absurdité de ces procédures dirigées contre les animaux à raison des homicides qu’ils avaient commis. Dès le treizième siècle, Philippe de Beaumanoir, dans ses Coutumes du Beauvoisis, expliquait que :

 

Le discernement est une faculté qui manque aux bêtes brutes. Aussi est-il dans l’erreur celui qui, en matière judiciaire, condamne à la peine de mort une bête brute pour le méfait dont elle s’est rendue coupable; mais que ceci indique au juge quelle est, en pareille circonstance, l’étendue de ses droits et de ses devoirs.

 

Devant la justice ecclésiastique. 

 

La plupart des procès qui eurent lieu devant la justice religieuse concernaient des petits animaux pour l'infestation ou la destruction de récolte. L’affaire se  soldait souvent par une excommunication de l'Église, ou une dénonciation officielle.  Selon Evans, cette mise en scène était orchestrée pour que les gens aient moins de scrupules à les exterminer. Les charançons, les limaces et les rats étaient aussi considérés comme des créatures de Dieu. Ainsi, la dévastation qu'ils provoquaient devait forcément être le fait de la volonté de Dieu. Les détruire aurait donc constitué un acte à l'encontre de la volonté de Dieu et de ses créatures. En revanche, si ces créatures comparaissaient devant un tribunal et étaient excommuniées (ou condamnées dans le cas des animaux et des insectes), on se sentait tout de suite moins coupable. Un tel procès a eu lieu dans les années 1480. Il impliquait le cardinal-évêque du diocèse d'Autun, en France, ainsi que des limaces qui détruisaient les terrains qui étaient sous sa responsabilité. Il a ordonné trois jours de procession quotidienne durant lesquels on ordonnait aux limaces de partir sous peine d'être maudites, ce qui était l'équivalent d'une autorisation pour les exterminer. En 1120, l'évêque de Laon excommunia les chenilles et les mulots qui ravageaient les récoltes de ses ouailles. L'année suivante, pareil sort fut réservé aux mouches de Foigny, près de Laon. En 1516, Jean Milon, official de Troyes en Champagne, accorda aux chenilles six jours pour abandonner le pays :

« Parties ouïes, faisant droit sur la requeste des habitans de Villenoce, admonestons les chenilles de se retirer dans six jours, et à faute de ce faire les déclarons maudites et excommuniées. »

De telles procédures resteront longtemps un acte juridique normal et courant. Le 15 novembre 1731, les registres du conseil municipal de Thonon portent encore :

 

« Item, a été délibéré que la ville se joindra aux paroisses de cette province qui voudraient obtenir de Rome une excommunication contre les insectes et que l'on contribuera aux frais au prorata. »

 

La fonction sociale des procès d’animaux. 

 

Si les juristes ne sont pas dupes sur leur efficacité des procès d’animaux et qu’ils continuent d’exister, c’est que probablement, ils remplissent une autre fonction que judiciaire. Bien qu’il faille sans doute relativiser d’une part le nombre de procès similaires à celui qui vient d’être évoqué, et d’autre part leur réelle portée, ces procès ont surtout valeur symbolique. Le symbole est par ailleurs, dans la culture médiévale, très important, contrairement à l’emploi et l’usage que nous faisons du mot symbole aujourd’hui. La conclusion, je la laisse à Michel Pastoureau :

Dans la culture médiévale, l’animal est toujours source d’exemplarité, à un titre ou à un autre. Pour la justice, envoyer des bêtes au tribunal, les juger et les condamner (ou les acquitter), c’est toujours mettre en scène l’exemplarité du rituel judiciaire. Ce n’est nullement “justice perdue”, comme le pense Beaumanoir, mais au contraire un acte indispensable à l’exercice de la “bonne justice”. Rien ne semble pouvoir échapper à l’emprise de celle-ci, pas même les animaux. Tout être vivant est sujet de droit.

Un dernier animal aurait pu faire l’objet d’un procès en 1794. Cette année là, une famille de Béthune et son perroquet se retrouvent devant le tribunal révolutionnaire : l'animal a la fâcheuse habitude de crier « Vive le roi »,ce qui rend ses maîtres coupables d'être antirévolutionnaires. Ils sont guillotinés tandis que le perroquet est remis à la citoyenne Le Bon chargée de lui apprendre à crier « Vive la Nation », « Vive la République » ou, selon une autre source, « Vive la Montagne ».

 

Pour en savoir plus :

 

Michel Pastoureau : Une histoire symbolique du Moyen Age occidental(édits : Seuil). 

 

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10/09/2018
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