L'histoire de la vraie casque d'or
Casque d’or, c’est d’abord Simone Signoret, dans le film réalisé par Jacques Becker, en 1952. Du coup de foudre à l'échafaud, Casque d'or est une tragédie de la Belle Époque à la beauté mélancolique. L'histoire d'un amour impossible, marqué par le destin, que portent Signoret et Reggiani. Mais, Jacques Becker n’est pas parti de rien. Casque d’or a un nom et un visage, elle s’appelle Amélie Hélie, elle est née le 14 mars 1878 à Orléans et elle est décédée à Paris le 16 avril 1933.
Le destin d’une fille de rue.
Le destin d’Amélie, c’est celui de centaines de jeunes femmes qui ont grandi à Paris dont les parents venaient de province avec l’espoir d’y trouver du boulot. Elle débarque à Paris, en 1891 et s’installe rue de Popincourt. Cette rue se trouve au cœur de la Bastoche, centre de la prostitution parisienne au début du XXème siècle. Sa mère décède peu de temps après. A la fréquentation de l’école, elle préfère les promenades dans les fossés des fortifications (les fortifs), où fêtes foraines et saltimbanques pullulent. D’après ses mémoires[1], elle se met en ménage avec Le Matelot, jeune serrurier et accessoirement voleur. C’est avec lui qu’elle perd « son petit capital ». Le ménage ne roule pas sur l’or et Amélie découvre vite le moyen de s’assurer quelques plaisirs. Elle devient l’amante d’Hélène de la Courtille et à quatorze ans, elle commence à turbiner sur le boulevard de Belleville. Les deux jeunes femmes sont inséparables. On les voit partout, chaque soir, dans les bas-fonds parisiens. Alcool, danse et jalousie, voilà le lot commun de leurs nuits folâtres. Amélie se souvient : « Elle ne me quittait pas d’une semelle, me faisait des scènes terribles si j’avais le malheur de lorgner quelque sous-officier ou quelque cocher [...]. Vingt fois elle s’est battue avec des hommes qui me désiraient. » C’est au cours d’une de ces folles soirées qu’elle rencontre le dénommé « Bouchon », à « La Pomme au lard », lieu de rencontres des « Apaches ». Amoureuse, elle s’installe avec lui rue Volga, non loin de la Porte de Montreuil. « Bouchon » ne vit que du pain de fesses et, sans tarder, elle retourne arpenter le ruban sur le boulevard de Charonne. Cinquante sous (2frs50) la passe de dix minutes. A tout moment, elle risque une rafle où elle sera « encartée ». Elle deviendra une « soumise » : déclarée et autorisée à se prostituer par la Préfecture de Police. Bouchon lui mène la vie dure allant jusqu’à lui planter par deux fois des ciseaux dans l’aine. Lassée de ces violences, elle abandonne « Bouchon ». Elle erre plusieurs jours dans le quartier de la Bastoche, avant de rencontrer Manda, Joseph Pleigneur pour l’état-civil. C’est un caïd, chef de la bande des Orteaux. Amélie ne tarde pas à retrouver le trottoir. Manda est gentil, il ne bat pas Amélie. Par contre il est furieusement jaloux. Lorsqu’il trouve Amélie au lit avec une certaine Thérèse, sans rien dire, il se saisit d’une corde et attache Thérèse au pied du lit puis va se coucher en lui demandant de « cesser ses jérémiades et de le laisser dormir ». Après la rue, Amélie entre en maison avec l’accord de Manda. En son absence il la trompe. Amélie aussi est jalouse, alors elle lui pose des questions et pour toute réponse elle n’obtient qu’un sourire narquois. Lassée encore une fois, elle se fait de nouveau la belle et sur le boulevard Charonne, elle rencontre François Leca. C’est un Corse, lui aussi un caïd, chef de la bande de la Popinc’. C’est un vrai « gonze poilu », bousillé (tatoué) sur tout le corps. Amélie arrive dans sa vie au bon moment, Louise sa régulière, s’est fait la malle avec… Manda !
Amélie devient Casque d’or.
Les acteurs sont là, le décor est planté, le drame va commencer. Le 30 décembre 1901, Amélie et Leca descendent la rue Popincourt en direction du boulevard Voltaire. Il est 22h. Arrivés au niveau de la rue du Chemin Vert, ils sont attaqués par deux individus. Leca écope d’un coup de couteau à la tête. Il sort son flingue et tire, forçant les deux hommes à s’enfuir. Ils sont arrêtés : l’un d’eux n’est autre que Manda. Personne ne balance et personne n’avoue. Manda est relâché. Alors, va commencer à la Bastoche, une incroyable guerre entre les bandes d’Apaches des Orteaux et de la Popinc’. La bataille se déroule le 5 janvier 1902. A la sortie du bal d’Avron, les deux clans s’affrontent avec toutes les armes dont ils disposent : flingues, couteaux et haches ! Manda hurle « Tous sur Leca » qui écope de deux balles dans la poitrine. Puis, la bataille s’arrête, on ne s’achève pas entre apaches. Le 9 janvier 1902, la police vient interroger Leca. Il dit ne pas connaître ses agresseurs ni ce qu’ils lui veulent. « Je suis totalement estranger à la bagarre [...] dont vous parlez. » A 15h, il sort de l’hôpital et monte dans une voiture avec Amélie et des membres de la bande. Rue de Bagnolet, le fiacre se fait attaquer : Leca est poignardé en pleine poitrine par Manda. Il est bon pour retourner à l’hôpital Tenon. Cette fois, Leca parle. Manda est arrêté. La police se décide à arrêter le meneur de la bande ainsi que ses hommes et, en prison, les langues se délient. Leca, devinant qu’on attend sa guérison, imminente, pour l’arrêter à son tour, juge qu’il est temps de s’enfuir. À sa sortie de l’hôpital, il s’éclipse en Belgique à la suite d’une bagarre qui, cette fois, a dégénéré et fait une victime. De son côté, Casque d’or change de quartier. Dorénavant; elle se prostitue place de la République. Aux assises du 31 mai 1902, au procès de Joseph Plaigneur, dit « Manda », Casque d’or parade en tailleur et affiche son succès. Manda est condamné aux travaux forcés à perpétuité. L’extravagante prostituée, que la justice n’a pas inquiétée, est pour sa part devenue célèbre. Le Paris des noceurs, toujours avide de sensationnalisme, s’est entiché de cette reine du trottoir pour laquelle des malfrats se sont battus à mort. Manda déclare lui-même devant les jurés :
« Nous nous sommes battus (…) parce que nous l’avons dans la peau ! ».
Pincé en Belgique puis reconduit à Paris, Leca est jugé et condamné à huit ans de bagne et à la relégation. Il est abattu, au bout de trois ans, lors d’une tentative d’évasion. Casque d’or s’en émeut peu. Lancée dans la haute galanterie, elle aspire désormais à devenir vedette de café-concert. Manda, quant à lui, survit jusqu’en 1935, sans avoir quitté sa tenue de forçat. Néanmoins, la nouvelle notoriété de Casque d’or ne dure pas. Un peintre, Albert Dupré, réalise son portrait à l’occasion du Salon annuel des artistes français ; toutefois, l’institution le refuse avec indignation pour « outrage aux mœurs ». De même, le Théâtre des Bouffes du Nord fait mettre en répétition une pièce « Casque d’Or et les Apaches » dont Amélie devait être à la fois l’héroïne et la principale interprète. Le préfet de police Lépine, soucieux de morale publique, interdit les représentations. Les années passent, et Amélie est victime d’un coup de poignard du « Rouget », ancien voyou au service de Manda : on ne connaîtra jamais la raison de cette attaque, mais on peut imaginer que, depuis la galère, son amant passé veut encore lui faire payer ses écarts. Échappant à la mort, Casque d’or prend la décision de s’assagir : elle épouse en 1917 un marchand bonnetier avec lequel elle a quatre enfants et mène une vie beaucoup plus calme. Elle vécut à Paris jusqu’à son décès en 1953, dans l’anonymat le plus total. Elle avait cinquante-quatre ans. Finalement contrairement au film, Casque d’or n’a fait aucune victime.
La Reine des Apaches.
L’affaire permet à la presse à sensation de braquer le projecteur sur les bandes « Apaches ». Le terme est né au début du siècle, sans que l’origine en soit clairement établie. « Apache » devient l’appellation de l’ensemble des voyous parisiens. Dans le journal « Le Matin » du 12 décembre 1900, Henry Fouquier qualifie l’Apache en ces termes : « Nous avons à Paris, une tribu d’Apaches dont les hauteurs de Ménilmontant sont les montagnes rocheuses… Ils vous tuent leur homme comme les plus authentiques sauvages, à ceci près que leurs victimes ne sont pas des étrangers envahisseurs, mais leurs concitoyens français. » Jusqu’à la première guerre mondiale, les Apaches font trembler la société comme l’avaient fait quelques années auparavant les anarchistes et comme le fera plus tard la bande à Bonnot. La presse se focalise sur ces bandes de jeunes de 18 à 23 ans. Les grands quotidiens comme Le Petit Journal, Le Petit Parisien, Le Journal et Le Matin qui tirent chacun à près d’un million d’exemplaires, en font souvent leurs unes. Les bandes ont leurs quartiers à Belleville, Charonne, La Goutte d’or, Sébastopol, Ménilmontant et les fortifications. C’est au cabaret de L’Ange Gabriel que se rencontraient les deux chefs Manda et Leca, accompagnés de leur « muse » Amélie Hélie, dite Casque d’or. Ils y dansent et couvrent les tables de graffitis. Sur une photographie du marbre de la table habituelle du trio, on peut voir de nombreuses inscriptions gravées et le portrait de Casque d’or. La guerre de 14-18, qui décime la population masculine, scelle la fin des Apaches et de Casque d’Or. Ecoutons la une dernière fois, tête haute et poings sur les hanches, chanter fièrement son histoire des bas-fonds de Paris en 1900, sa chanson vraie : « Je suis la gigolette, / La marchande d’amour. / Pour gagner la galette, / J’aime la nuit et le jour. / Tout le monde me connait à Belleville. / Mon homme est l’plus bath et l’plus fort. / C’est la terreur des sergents de ville. / J’suis la Môm’Casque d’Or. ».
Pour en savoir plus :
Claude Dubois : La Bastoche, une histoire du Paris Populaire et criminel - Edition Perrin, 2011.
Alexandre Dupouy : Casque d’Or, la vraie – Edition MANUFACTURE DE LIVRES, 2015.
Et bien sûr pour ne rien oublier du film :
https://www.youtube.com/watch?v=RPhTDqiERlQ
La voix de Serge Reggiani
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