Jamestone : grandeur et décadence
La ville disparue de Pocahontas
En 1698, la capitale de la Virginie fut transférée de Jamestown à Williamsburg. Lorsque ce transfert intervient Jamestown a perdu l’essentielle de sa splendeur. La révolte de Nathaniel Bacon en 1676, lui a porté un coup fatal. Jamestown a vécu un siècle et pourtant, elle est un concentré de l’histoire américaine, réelle ou fantasmée. Elle est le lieu où s’installa la première colonie anglaise permanente et celui de l’apprentissage de la démocratie. Elle fut aussi celui qui accueillit les premiers esclaves noirs en 1619. Enfin, c’est ici également, qu’en 1614, Pocahontas, princesse indienne, épousa John Rolfe, un homme d'affaires londonien, créant ainsi le mythe du métissage « en douceur » repris plus tard par les studios Disney et bien d’autres studios de cinéma.
Les débuts difficiles de la colonie.
En décembre 1606, trois navires, le Susan Constant, le Godspeed et le Discovery quittent Londres pour l’Amérique dans l’indifférence générale. L’expédition est financée par la Compagnie de Virginie. L’aventure commerciale s’inscrit dans un projet colonial. Il s’agit pour l’Angleterre d’imposer sa présence en Amérique et de rattraper son retard face aux Espagnols et aux Français, après l’échec de la colonisation de la baie de Chesapeake en 1584. Conformément aux termes de la charte de la Compagnie, les 104 membres de l’expédition se dirigent vers les terres « actuellement non en possession de princes et de peuples chrétiens » situées entre les 34e et 41e degrés de latitude nord, c’est-à-dire entre les actuels Cape Fear (Caroline du Nord) et New York. Le 26 avril 1607, ils atteignent les eaux de la baie de Chesapeake et fondent un établissement sur une île baignée par la rivière James. Il le baptise Jamestown en l’honneur du roi. Ce n’est cependant qu’un village qui vit sous la menace permanente des Indiens Powhatan. Le site était trop pauvre et isolé pour pratiquer l'agriculture. En plus de l'environnement marécageux, les colons sont arrivés trop tard durant l'année pour planter et obtenir des récoltes. L'endroit stratégique offrait toutefois une bonne visibilité ainsi qu’une profondeur d'eau nécessaire pour que les bateaux puissent se rapprocher suffisamment de la terre. Le 26 mai de la même année, les Amérindiens du coin, les Paspegh, attaquèrent les colons, tuèrent une personne et en blessèrent onze autres. Le site paraissait très sympathique sous les couleurs du printemps de la Virginie mais les premières déconvenues survinrent avec l'été, ses chaleurs écrasantes et ses nuages d'insectes surgis des marécages environnants. Les colons n’étaient pas préparés à affronter les privations, le manque de tout et la rudesse de leur nouvel environnement. Une bonne partie de la centaine des colons fondateurs de cette colonie était composée d'hommes bien placés dans la société, des gentilshommes qui n’étaient pas habitués au travail manuel et qui répugnèrent à défricher et à labourer la terre de leurs mains. Pour ne pas mourir de faim, les Indiens conciliants et pacifiques au départ, les Powhatans, leur apportèrent de la nourriture et leur montrèrent comment s’occuper des récoltes. Cependant, des disputes éclatèrent et la colonie tomba dans le chaos. Le capitaine John Smith (1580-1631), nommé par la compagnie Virginia, prit le contrôle de la situation. Il était l'un des seuls hommes blancs de Jamestown à pouvoir négocier pacifiquement avec les Indiens pour obtenir de la nourriture et des fournitures. Il a toujours pensé que l'établissement de relations diplomatiques pacifiques avec les Amérindiens locaux était la seule façon pour son peuple de survivre aux durs hivers. Il a finalement rencontré Powhatan, le chef de la Confédération qui est le nom communément donné par les Anglais à Wahunsunacock. La confédération Powhatan, ne s'opposa pas aux Anglais au début, car ils avaient choisi un marécage de terres inutilisables pour s'installer et, de plus, ils pensaient que les Anglais pourraient servir d'alliés contre les Espagnols et d'autres tribus hostiles. Le chef Powhatan ordonna donc à son peuple d'approvisionner en matériel et en vivres les colons mal équipés et ineptes. Les colons en vinrent à compter sur ce type de service plutôt que d'apprendre à se débrouiller seuls. Le capitaine John Smith établit une bonne relation avec le chef Powhatan en 1607 mais, en 1609, cette relation se détériora en raison des abus continus des colons à l'égard des indigènes, notamment le vol de terres et de nourriture. Smith lui-même, en dépit de ses efforts pour se lier d'amitié avec les tribus, finit par participer au vol de nourriture et quitta la colonie pour l'Angleterre en octobre 1609 sans en informer le chef Powhatan.
L’ère de la famine à Jamestown de 1609/1610
Après le retour de Smith en Angleterre à la fin de 1609, les habitants de Jamestown souffrirent d'un long et rigoureux hiver connu sous le nom de «The Starving Time», au cours duquel plus de 100 d'entre eux sont morts. Des témoignages de première main décrivent des personnes désespérées qui mangent des animaux domestiques et du cuir de chaussures. George Percy, chef de la colonie en l’absence de John Smith, a écrit :
« Et maintenant, la famine commence à paraître horrible et pâle sur tous les visages auxquels rien n'a été épargné pour maintenir la vie et faire ces choses qui semblent incroyables, comme déterrer des cadavres dans les tombes et les manger, et certains ont léché le sang qui est tombé de leurs compagnons faibles. »
Certains colons de Jamestown ont même eu recours au cannibalisme ? C'est la découverte des ossements d'une adolescente, surnommée «Jane», qui permet aux archéologues de trancher la question. Les os du crâne et d'un tibia de cette jeune fille ont été retrouvés en 2012, sur le site de James Fort, le fort originel où les colons s'étaient établis en 1607. Et ces restes humains présentent des caractéristiques qui ont immédiatement alerté les chercheurs. D'une part, les restes ont été trouvés parmi des ossements d'animaux. Ensuite, des traces de coups, très nettes, ont été retrouvées sur le crâne. "L'intention était de démembrer le corps, d'enlever le cerveau et la chair du visage pour les consommer"
La jeune victime, «Jane», était une Anglaise de 14 ans environ. La cause de son décès n'a pu être déterminée, mais les chercheurs assurent que les traumatismes découverts ont été infligés après sa mort. Douglas Owsley, l’anthropologue qui a supervisé le projet explique : « La désespérance et les circonstances exceptionnelles auxquelles ont dû faire face les colons se retrouvent dans le traitement post mortem réservé au corps de l'enfant. »
Au printemps 1610, alors que les colons restants étaient sur le point d'abandonner Jamestown, deux navires arrivèrent avec au moins 150 nouveaux colons, une charge de ravitaillement et le nouveau gouverneur anglais de la colonie, Lord De La Warr.
La paix de Pocahontas.
Lord de la Warr rejeta l'approche antérieure de Smith dans ses relations avec les indigènes et instaura une politique sans compromis qui déclencha la première guerre de Powhatan (1610-1614), une série de guérillas et de contre-attaques qui firent de nombreuses victimes dans les deux camps. Les indigènes étaient de meilleurs guérilleros et leurs armes, l'arc et les flèches, étaient plus efficaces que les mousquets des colons qui mettaient plus de temps à recharger qu'il n'en fallait à un archer indigène pour décocher une nouvelle flèche. Les colons disposaient cependant d'une réserve apparemment infinie de personnes qui arrivaient sans cesse pour remplacer celles qui avaient été tuées, alors que les tribus de la Confédération ne disposaient pas de ce luxe. Les colons déplaçaient aussi continuellement les indigènes en attaquant un village, en tuant ses habitants et en le fortifiant, privant ainsi les populations indigènes des terres et des ressources qu'elles utilisaient pendant la guerre et élargissant ainsi la zone tampon entre les colonies anglaises et les villages indigènes.
Pocahontas n’est pas une inconnue pour les Anglais. Lorsque John Smith, suspecté de la mort de plusieurs Indiens, est capturé en décembre 1608 par le fils de Powhatan. Pocahontas, la fille du roi, est bien intervenue pour sauver l'Anglais de la torture. Par la suite, la jeune Indienne a effectivement accompagné Smith à Jamestown, et cela dans la plus pure tradition de la diplomatie indienne selon laquelle deux peuples échangent des « otages », garants des bonnes relations entre eux. Sa connaissance de l'anglais en fait une intermédiaire précieuse, et Powhatan l'utilise pour obtenir des renseignements sur la jeune colonie. Les relations entre les Algonquins et les colons se dégradent cependant, car ces derniers ne cessent d'étendre leurs champs de tabac au détriment des cultures indiennes. Au point que, en avril 1613, Samuel Argall, le responsable de la communauté coloniale, redoute une attaque, et que Powhatan rompt toutes relations commerciales avec les Anglais. Pocahontas, quant à elle, quoique désormais considérée comme une prisonnière, se fait convertir par le pasteur puritain Alexander Whitaker, et épouse John Rolfe.
Pourquoi une telle union ? La jeune Indienne souhaite-t-elle mettre un terme au conflit entre les deux peuples en affichant son amour pour un Anglais ? Y est-elle contrainte pour des raisons de propagande coloniale ? Les documents ne l'expliquent pas. Il semble en tout cas que son voyage à Londres, en 1616, soit organisé par la Compagnie de Virginie : il démontre les excellentes relations entretenues par les Anglais avec les « sauvages » et, par là même, la sécurité des investissements financiers des marchands londoniens dans les terres à tabac américaines. C'est sur le chemin du retour, sur un bateau remontant la Tamise, que Pocahontas meurt, de la variole probablement. Elle est enterrée près de Londres. Il semble bien que durant huit années la paix s’installe entre Indiens et colons anglais, mais l’insatiable appétit de terre des colons va mettre à bas ce fragile équilibre.
Le massacre de 1622.
L'attaque fut soigneusement planifiée et exécutée avec une telle rapidité et une telle précision qu'une seule colonie, Jamestown, fut avertie et put préparer une défense. Sur environ 1 250 colons anglais, 347 furent tués le 22 mars 1622, la plupart avant midi, et des centaines d'autres mourront au cours des mois suivants de malnutrition, de faim et de maladies dues à la destruction de leurs récoltes ainsi qu'à d'autres engagements périodiques avec les indigènes.
L'attaque fut complètement inattendue et fut une victoire militaire totale pour la confédération Powhatan. La paix avait été établie entre les colons et les indigènes depuis la fin de la première guerre de Powhatan en 1614. Les indigènes et les colons s'associaient dans le commerce, visitaient leurs établissements respectifs et les indigènes étaient souvent invités dans les maisons des colons. Depuis 1610, cependant, les colons avaient commencé à s'étendre depuis leur village d'origine à Jamestown, prenant de plus en plus de terres à la confédération Powhatan, maltraitant les indigènes, volant la nourriture et permettant au bétail de détruire les cultures et de profaner les sites sacrés pour les rituels autochtones.
- L'attaque d'Opchanacanough avait trois objectifs :
- Démontrer la puissance militaire de la confédération Powhatan ;
- Démoraliser les colons anglais ;
- Les encourager à faire leurs bagages et à retourner dans leur pays ;
L'attaque atteignit les deux premiers objectifs mais, au lieu de partir, les colons se retranchèrent et ripostèrent dans la deuxième guerre des Powhatan (1622-1626) qu'ils gagnèrent. Par la suite, le commerce avec certaines tribus fut découragé et davantage de terres furent saisies pour en faire des plantations de tabac. Opchanacanough lança une nouvelle offensive en 1644, déclenchant la troisième guerre des Powhatan (1644-1646) qui se termina par sa capture et sa mort.
À la suite de ce conflit, le traité de 1646 mit fin à la confédération des Powhatan et conduisit au système de réserves pour les tribus autochtones de la région. Le massacre de 1622 influença également les relations anglo-indigènes ailleurs dans les colonies anglaises, contribuant aux politiques et aux campagnes militaires anglaises pendant la guerre des Pequots (1636-1638) et la guerre du Roi Philippe (1675-1678) en Nouvelle-Angleterre et au développement de lois concernant les Autochtones par la suite.
Que reste-t-il de Jamestown ?
Incendiée moins d’un siècle plus tard, lors de la rebellion de Nathaniel Bacon, Jamestown est tombée en ruines à partir de 1699, quand le chef-lieu de la Virginie a été transféré à Williamsburg. Il a fallu attendre 1957, date du 350è anniversaire de l’arrivée des colons, pour que l’état de Virginie recrée, à proximité du site de Jamestown, une copie conforme de la colonie.
Contrairement aux premiers colons, les touristes arrivent maintenant à Jamestown en voiture. Ils peuvent aller au Jamestown Settlement ou visiter le site même de la colonie sur l’île de Jamestown. Au Jamestown Settlement et dans le village indien proche de Powhatan, les visiteurs peuvent se faire une idée de la vie dans la colonie, à ses débuts. Des figurants, vêtus à la mode de 1609, y parlent l’anglais du XVII siècle, et ils sont armés de mousquets de l’ère coloniale. Il y a aussi des figurants indiens dans le village de Powhatan. Les touristes peuvent aussi admirer des copies, grandeur nature, des trois navires qui avaient transporté les colons à Jamestown, à savoir le Susan Constant, le Godspeed et le Discovery.
A l’origine, Jamestown Settlement a été construite par l’état de Virginie parce qu’il n’y avait pas grand-chose à voir sur le site même de Jamestown. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Des historiens et des archéologues procèdent à des fouilles sur place.... Et on a maintenant une meilleure idée de la colonie, de ses habitants et de leur vie quotidienne.
Si Jamestown n’a pas laissé d’imposantes ruines, elle n’en pas moins laissé d’importantes traces dans l’histoire américaine, elle a été néanmoins le lieu de départ des grands conflits qui ont marqué l’Amérique jusqu’à nos jours :
- L’esclavage, qui, bien qu’aboli en 1865 marque encore les relations au sein de la société américaine.
- Les guerres indiennes, dont la dernière s’est déroulée à Wounded Knee en 1890 (voir https://www.pierre-mazet42.com/wounded-knee-la-fin-des-guerres-indiennes )
Enfin Jamestown nous a laissé une formidable légende ; Pocahontas.
Pour en savoir plus :
Hittinger Christopher, Jamestown, The Hoochie Coochie (2007)
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