Jean Galmot : De Guyenne en Guyane.
Si peu de gens ont lu Jean Galmot, plus nombreux peut-être sont ceux qui connaissent sa vie, par l'intermédiaire du récit qu'en a fait Blaise Cendrars dans « Rhum », exclusivement consacré à « l’aventure de Jean Galmot». Jean Galmot méritait bien un biographe du calibre de Cendrars, tant son destin fut peu banal. Cendrars le rencontre en 1919. Il est député de Guyane et riche homme d'affaires. Il traîne alors une mauvaise réputation, qui est aussi sa légende : « une espèce de nabab, qui faisait une noce à tout casser », « un ancien pirate » qui « s'était fait proclamer roi des Nègres » et « avait assassiné père et mère », un spéculateur sans scrupule qui aurait acquis « des douzaines de châteaux». Dans ces pages, l’écrivain traduit la philosophie du personnage en ces termes : « Voilà un homme qui dès son arrivée, s’est aperçu que ces noirs (et ces indiens) ne sont pas des êtres d’une race inférieure, mais des hommes donc des frères, et qu’au surplus ce pays est le leur, que, par conséquent, ce qu’il produit est aussi à eux, et qu’ils doivent en profiter... » Des idées humanistes d’une étonnante modernité !
Une enfance périgourdine.
Né le 2 juin 1879 à Monpazier, en Dordogne, Jean Galmot était l’avant-dernier d’une famille de sept enfants à laquelle s’ajoutaient quatre frères adoptifs (ses parents, Édouard et Anne, ayant adopté les orphelins de l’un de ses oncles). Fils d’instituteur, passionné de lecture, il réussit de brillantes études à l’école libre des Récollets (ancien couvent des Récollets, aujourd’hui Maison des Bastides) alors même que l’étude l’ennuie. Très jeune, à onze ans, il est admis à l’École apostolique qui formait les missionnaires. À vingt ans, il parle couramment quatre langues étrangères : allemand, anglais, italien et espagnol. Déjà, la soif de l’aventure l’étreint et il abandonne le professorat pour occuper un poste de précepteur tout d’abord dans les Vosges, puis en Italie. Son parcours est celui d’un humaniste protéiforme.
Journaliste et dreyfusard convaincu.
À vingt-cinq ans, il devient chroniqueur et brillant journaliste. Ce dreyfusard convaincu apporte à la révision du procès de Dreyfus des informations patiemment recueillies, pendant les deux ans qu’on duré son enquête, et révélées à Jaurès. Elles prouvaient que Dreyfus n’avait jamais eu de rapport avec des services de renseignements de l’Allemagne. Le nom de Jean Galmot devient connu du grand public grâce à l’article paru dans Le Petit Niçois du 13 mars 1904, à propos de l’affaire Dreyfus. Il joue un rôle important dans la réhabilitation du capitaine.
Les salons mondains de la Côte d’Azur lui sont ouverts. Il y fait la connaissance d’une jeune Américaine, Marianne Antoinette Heydecker, âgée de huit ans de moins que lui, née à Paris et arrivant de Russie, où son père, William Alexander, y était consul des États-Unis. Ils se marient le 24 octobre 1905. Le mariage n’empêche pas Jean Galmot de fréquenter les salles de jeux et tous les lieux où l’on s’amuse. Mais en 1906, son beau-père, qui a les pieds sur terre, le charge de se rendre en Guyane, où il possède un placer (une concession pour l’exploitation de l’or), le Placer Élysée sur la crique Lézard, non loin de Mana.
Devenu Guyanais.
Jean Galmot s’embarque seul pour Cayenne. De là, en pirogue, il gagnera le placer « Elysée », mais ne s’y attardera pas, n’y trouvant, semble-t-il, aucun intérêt. En revanche, ayant été chargé à cette occasion d’une mission par Millès-Lacroix, Ministre des Colonies, il explore le bassin de la Mana. Rentré en France, il fait plusieurs conférences sur la Guyane, ce qui lui vaut d’être admis à la Société de Géographie, ainsi qu’à celle des ingénieurs coloniaux.
Mais le virus s’est incrusté en lui. On dit alors, en Guyane, que l’intéressé a bu du « bouillon d’awara » (l’Awara ou aouara, « Astrocaryum vulgare », est une sorte de palmier oléagineux). Galmot y retourne et il est tour à tour orpailleur, balatiste (forestier exploitant l’arbre appelé balata), planteur, puis fondé de pouvoir de la Maison Chiris, qui a ouvert un comptoir à Cayenne.
En 1917, Jean Galmot s’installe à son compte. Il crée plusieurs usines d’essence de bois de rose. Il achète une plantation de canne à sucre afin de produire du rhum, et innove en organisant une collecte de la production des petits producteurs. Son besoin d’équité tranche avec les pratiques colonialistes qui ont cours en Guyane. En faisant travailler le petit peuple guyanais, tout en lui garantissant des prix d’achats proches des cours mondiaux (en particulier pour l’or, le bois de rose et le bois de balata), il se fait mal voir des autres exploitants, prêts à tout pour préserver leurs intérêts. Il soulage la misère de ses ouvriers en les rémunérant décemment et en appliquant la législation du travail de l’époque, la loi de 1898 (avant lui, un employé était tout bonnement renvoyé suite à un accident invalidant...). Avec ses fonds propres, il prend en charge l’éducation des jeunes les plus pauvres en créant des bourses locales. Il devient « Papa Galmot » une expression qui témoigne de toute l’affection du peuple et qui a du sens auprès des plus démunis.
Son activité est débordante. Pilote d’avion et d’hydravion, il met en place les premières liaisons aériennes entre la côte et l’intérieur du pays. Il est également à l’origine d’une ligne de chemin de fer. Il crée des comptoirs aux Antilles, à la Réunion, à Panama. Ses entreprises sont aussi en métropole, à Paris, Bordeaux, Carcassonne, Sarlat, Sainte-Sabine... Bientôt, une flotte de plus de quarante navires, frappés à son pavillon, sillonne les mers. Il ravitaille la France en blé (provenant d’Argentine), en café, en cacao, en rhum, en balata et en or. À la tête d’un véritable empire, il fait l’acquisition du château de Montfort, en Dordogne. Rapidement hissé au rang des grandes fortunes de son temps, cette période de faste ne dure guère plus d’une dizaine d’années.
La haine a la vie dure.
Une telle puissance a bien sûr d’importantes répercussions en Guyane, à tel point que la vie économique est dominée par Jean Galmot, et, selon une loi bien connue, l’économique va agir sur le politique. Quand, après la guerre, se profilent à l’horizon les élections législatives, on pense tout naturellement à Jean Galmot. Le candidat sortant est l’ancien gouverneur de la Guyane, Albert Grodet, qui a été élu en 1910 et maintenu en fonction depuis, en raison de la guerre. Jean Galmot se présente aux élections de 1919, sans étiquette politique, mais avec un programme qu’il expose sur place durant la campagne électorale, avec un talent oratoire qu’on ne lui soupçonnait pas. Jean Galmot remporte largement la victoire dès le premier tour. C’est un idéaliste et anti-esclavagiste qui est élu, le 30 novembre 1919. Il s’oppose aux familles créoles et prend parti, avec les Noirs et les Indiens, contre le bagne de Cayenne. Député, il fait partie des non-inscrits au Parlement, où son activité est intense. Il devient vice-président de la Commission de la Marine marchande, secrétaire de la Commission des colonies et protectorats, membre de la Commission des transports aériens, du Comité d’action républicaine aux Colonies françaises, du Conseil supérieur des colonies du groupe des députés coloniaux, secrétaire du groupe de l’Aviation... C’est encore lui qui est l’auteur d’une proposition de loi portant sur la création d’une loterie nationale destinée à améliorer la situation des finances de l’État détériorée par la guerre.
La guerre finie, il se retrouve avec une énorme cargaison de rhum qu’il avait payée et qu’il ne peut plus écouler dans les marchés d’État (à destination des pharmacies, hôpitaux et tranchées). Devenu vulnérable, tous ses détracteurs vont s’acharner contre lui : les politiciens, dont il dénonce la corruption, mais aussi ceux qui évoluent dans le monde des affaires et qui le jalousent. « L’affaire des rhums » éclate le 31 mars 1921. On l’accuse d’avoir accaparé le commerce des rhums réquisitionnés par l’Armée. Quatre jours plus tard, et avec son accord, la Chambre des Députés lève son immunité parlementaire. Le cinquième jour, Galmot est arrêté à Paris et incarcéré dans la plus grande illégalité, pendant neuf mois, à la Prison de la Santé, dans une cellule sordide. C’est dans ces circonstances qu’il terminera l’ouvrage qu’il a commencé et qui s’intitule « Un mort vivait parmi nous. » Il garde confiance et, en janvier 1922, il est remis en liberté provisoire. Le 17 décembre 1923, s’ouvre le procès. Après bien des rebondissements (les plaignants retirent leurs plaintes), Galmot est condamné à un an de prison avec sursis, condamnation assortie de 10 000 francs d’amende.
Guyanais à jamais.
Discrédité à Paris, il regagne la Guyane. Dans un document écrit de sa main le 15 mars 1924, Jean Galmot jure de « rendre la liberté à la Guyane » et de lutter « jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour affranchir mes frères noirs de l’esclavage politique ». En 1928, il regagne la Guyane une nouvelle fois, avec la ferme intention de se représenter aux élections. Il est accueilli par une foule immense. Son élection ne fait aucun doute. Mais les résultats du scrutin, truqués, donnent vainqueur, le député Eugène Lautier, parachuté le temps de la campagne électorale. Le décès suspect de Galmot survenu le 6 août, quelques semaines après la validation des votes par la Chambre des députés, provoque un déferlement de violence à Cayenne. Il faut venger « Papa Galmot » ! Trois amis de Gober, le Maire de Cayenne (l’homme qui a juré la perte de Galmot) sont lynchés dans la rue. Il s’agit de Bougarel, Laroze et Clément. Deux autres, Jubel et Tébia, sont assassinés chez eux.Suite à ces émeutes, trente-six personnes sont arrêtées, mais seules quatorze d’entre elles, dont deux femmes, seront inculpées pour pillages, crimes et complicité de meurtres lors d’un procès retentissant (délocalisé à Nantes, pour des raisons de sécurité). Les insurgés de Cayenne, comme on les appelle, seront tous acquittés le 21 mars 1931, grâce à la brillante plaidoirie de Gaston Monnerville, l’un de leurs avocats.
Pour en savoir plus :
- Blaise Cendrars, Rhum : L'Aventure de Jean Galmot, Grasset, 1930 ;
- André Bendjebbar, Jean Galmot, le prophète de Guyane, le Cherche Midi, 2010.
Filmographie :
- Alain Maline, Jean Galmot, aventurier, avec Christophe Malavoy, 1990
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