Nicolas Baudin : explorateur méconnu.
Au milieu des explorateurs des XVIIIème et XIXème, il n’est pas facile de se frayer un chemin vers la gloire, entre Bougainville, Cook, Lapérouse, Dumont d’Urville, etc.. Il en est ainsi de Nicolas Baudin, qui pourtant passa sa vie sur les océans du globe. Il conduisit deux expéditions fertiles, une pour le développement des connaissances botaniques des Antilles, une autre pour améliorer la connaissance cartographique de l’Australie. C’est sans doute, en raison de cette deuxième expédition qu’il fut pendant longtemps, plus reconnu par les historiens australiens que par les historiens français.
Condamné à la marine marchande.
Nicolas Baudin voit le jour le dix-neuf février 1754 dans la paroisse de Saint-Martin-de-Ré. Il est le fils de François Baudin, qualifié de marchand sur l’acte de baptême du petit Nicolas. Dans sa généalogie, nulle trace d’ancêtre noble, ce qui ne sera pas sans conséquence sur sa carrière future. Au milieu du XVIIIe siècle, l’île de Ré jouissait encore de privilèges fiscaux hérités du Moyen Age. Elle était le lieu de cabales religieuses entre protestants et catholiques. Elle avait érigé des fortifications et formé des milices pour résister aux débarquements anglais. Elle gisait dans l’Atlantique, à quelques encablures du port de La Rochelle, couverte de vignes, quadrillée de marais salants, dotée de ports internationaux hauts en couleurs et en parfums, peuplée de militaires et de négociants parlant le hollandais ou le créole de Saint-Domingue. C’est dans ce microcosme rebelle au continent mais ouvert au grand large que grandit Nicolas Baudin. Il s'engage en 1769 dans la marine marchande de son oncle Jean Peltier Dudoyer, et en 1774 comme cadet à la Compagnie des Indes orientales. Il est sous-officier en 1776 au régiment de Pondichéry avec la fonction de fourrier. Deux ans plus tard, il sert aux Antilles pendant la guerre d'indépendance des États-Unis. Puis il navigue plusieurs années sur des navires armés par Peltier Dudoyer C'est ainsi qu'il obtient le commandement d'une frégate civile l'Appolon, chargée de transporter la Légion du Luxembourg pour soutenir les Hollandais au Cap de Bonne-Espérance. Mais arrivé au port de Brest, où il rejoint les vaisseaux chargés d'accompagner le convoi, le comte d'Hector, commandant de la forteresse de Brest, lui retire le commandement au profit d'un officier de la Compagnie des Indes. Au népotisme, qui de tout temps sévit, s’ajoutait sous le règne de Louis XVI, comme condition préalable à l’obtention du grade supérieur d’officier « rouge », l’obligation de prouver aux généalogistes du roi son appartenance à la noblesse. La fierté rétaise de Nicolas Baudin s’en accommoda mal. II quitta brutalement la marine royale pour servir dans la marchande. En effet, le négoce était considéré sur l’île de Ré aussi honorablement que chez les Anglais. Dans les années qui suivent, Baudin sillonnent les océans. Il est capitaine en 1785 de la Caroline qui transporte les derniers Acadiens de Nantes à La Nouvelle-Orléans. Des négociants en bois de La Nouvelle-Orléans signent un contrat avec lui pour transporter une cargaison de bois, de viande salée, etc. à bord de la Joséphine qui appareille le 14 juillet 1786 à destination de l'Isle de France[1], où il arrive le 27 mars 1787. Entre-temps, la Joséphine s'arrête à Cap Français en Haïti, où Baudin rencontre le botaniste autrichien Franz Josef Maerter qui l'informe qu'un autre botaniste autrichien, Franz Boos, attend au cap de Bonne-Espérance un bateau pour l'emmener à l'isle de France. La Joséphine en arrivant au Cap le prend donc à bord et l'emmène à bon port. Après quelque temps à l'isle de France, Boos confie à Baudin ses collections de spécimens de flore du Cap et de l'ile de France pour les rapporter en Europe à son retour. Baudin prend la précieuse collection à bord et arrive au port de Trieste (à l'époque port autrichien), le 18 juin 1788. Baudin apprend ainsi la botanique et les techniques de maintien en vie des plantes et des animaux à bord.
Mission autrichienne.
Joseph II se montre moins ingrat que Louis XVI : en 1792 il promeut Baudin capitaine de vaisseau pour une mission particulière qui consistait à rapatrier Georg Scholl, l’assistant de Boos resté malade en Afrique du Sud. Le service en pays étranger était une pratique courante quoique dangereuse en ces temps agités où se succédaient les revirements d’alliances. Ainsi lorsque éclate la guerre entre la France et l’Autriche, Nicolas Baudin se trouve dans une situation diplomatique inconfortable. Cependant, tranquillisé sur la neutralité de la science par le vice-chancelier autrichien et par Monge, nouveau ministre de la Marine française, il repart sur la Jardinière, au gré de son inspiration et des vents, commerçant, herborisant, surveillant à l’occasion les activités de l’ennemi anglais. Il frôle l’Australie, oublie plus ou moins Scholl au cap de Bonne-Espérance dans les parages duquel une tempête finit par naufrager son vaisseau. En 1795 il décide de regagner la France sur un navire américain pour y demander sa réintégration dans la marine militaire.
La mission aux Antilles.
Rentré en France le 8 juin 1796, désireux de revenir au service de son pays après la Révolution, Nicolas Baudin confie à Jussieu, directeur du Muséum d'Histoire naturelle de Paris, qu'il possède cette importante collection en dépôt chez un de ses amis de l'île espagnole de la Trinité aux Antilles et qu'il est prêt à l'offrir au Muséum de Paris à condition que la Nation prenne en charge l'armement du navire pour aller la chercher. La demande en est faite au Directoire et acceptée le 1er juillet 1796. Quatre naturalistes sont nommés le 12 juillet pour seconder Baudin qui reçoit en septembre le commandement de la flute marchande vieillissante la Belle Angélique de 800 tonneaux appartenant à l'armateur Langevin de Nantes, affrêtée par la République pour une expédition scientifique aux Antilles. Baudin a alors 42 ans. Sont nommés pour l'accompagner le botaniste André Pierre Ledru, 35 ans originaire du Mans, auteur d'un récit du voyage, le zoologistes René Maugé 38 ans, le jardinier Anselme Riedlé 31 ans Allemand, le minéralogiste Alexandre Philippe Advenier et le peintre Antoine Gonzales d'origine madrilène qui illustrera le journal de la Belle Angélique. En outre un officier de santé Valentin Truffet et trois amateurs d'histoire naturelle sont également du voyage : Stanislas Le Villain, Jean Louis Hoggard et Louis Legros. Par ailleurs, l'équipage comprend 108 membres dont 3 Havrais : Jean Baptiste Angoumard enseigne, Michel Fortin pilote et Benjamin Le Villain matelot amateur d'histoire naturelle.
Cependant la Belle-Angélique est jugée incapable de poursuivre le voyage et un nouveau navire, la Fanny, la remplace en partant des Canaries. L'expédition atteint l'île de la Trinité en avril 1797. L'île vient juste d'être prise par les Britanniques qui en chassent les Espagnols et les nouvelles autorités interdisent à Baudin de charger la collection botanique qu'il avait laissée trois ans plus tôt. La Fanny appareille donc pour Saint-Thomas et Sainte-Croix, puis visite Porto Rico. Des collections de flore et de faune sont rassemblées. À Sainte-Croix, la Fanny est remplacée par un nouveau navire plus maniable qui est rebaptisé la Belle-Angélique. L'expédition continue vers les Antilles. Elle est de retour en France en juin 1798. C’est alors que Baudin connait son heure de gloire, qui contraste avec l’oubli dont il fera l’objet. En effet, les 9 et 10 thermidor de l’an VI (27-28 juillet 1798), les Parisiens sont conviés à un spectacle peu ordinaire, voire « inouï ». Le pouvoir exécutif décide de faire défiler dans les rues de la capitale un cortège présentant les œuvres d’art et divers autres objets saisis lors des récentes opérations militaires, notamment la campagne d’Italie menée par Bonaparte. Parmi les objets d’histoire naturelle, ainsi mis en valeur, se trouvent des plantes tropicales vivantes : des bananiers, des cocotiers, des palmiers, des papayers. Ces plantes font partie de l’importante collection ramassée aux Antilles et rapportée en France le mois précédent Nicolas Baudin. La coïncidence du retour de cette expédition et de cette cérémonie nationale ne fait qu’amplifier la notoriété du capitaine, promu ainsi héros national peu de temps après s’être mis au service de sa patrie.
La « désastreuse » expédition australe.
Baudin n’est pas à court d’idées. Il se démène comme un beau diable pour monter une expédition vers les terres australes. Devant un panel de notoriétés parmi lesquelles Jussieu, Cuvier, Lacépède, Monge, Bougainville, il exposa grand projet. Finalement, il obtient gain de cause et le 18 octobre 1800, les navires quittent le Havre. Ils sont deux, Le Géographe et Le Naturaliste, pour vingt-deux savants, dessinateurs et jardiniers, dont neuf zoologistes et botanistes. Parmi-eux, le naturaliste Péron et deux jeunes officiers, les frères Freycinet, dont le rôle va s’avérer déterminant pour le récit du voyage. Très vite les choses se compliquent. La moitié de l’équipage quitte l'expédition à l'escale de l'île de France, en mars-avril 1801. D'autres meurent de dysenterie au cours du voyage qui se poursuit, comme Maugé, Levillain, ou Riedlé, et d'autres enfin sont débarqués pour cause de maladie. Un grand nombre d'officiers sont jeunes et des coteries s'organisent. Baudin n'apprécie pas l'orgueil aristocratique de certains. Il débarque plus tard son second (Le Bas de Sainte-Croix) à Timor après un duel. Enfin la Nouvelle-Hollande (Australie actuelle) est atteinte en mai 1801. Alors le capitaine Baudin entreprit de reconnaître toutes les côtes de la Nouvelle-Hollande, à partir du port Jackson. On leur donna les noms suivants :
— Côte méridionale : Terre de Napoléon et Terre des Nuyts ;
— Côte occidentale : Terre de Leeuwin, d’Echels, d’Endracht et de Witt ;
— Côte septentrionale : Terres de Van-Diémen, d’Arnheims, de Carpentarie ;
— Côte orientale : Terres d’Endéavour et Nouvelles-Galles-du-Sud.
Baudin s’occupa principalement d’hydrographie et d’histoire naturelle. Mais, malheureusement pour le succès de l’expédition, des divisions éclatèrent entre le commandant et les officiers placés sous ses ordres, et la maladie força Baudin, à relâcher à l’île de France le 7 août 1803. Il y décéda le 16 septembre 1803.
Les résultats de l’expédition.
L'expédition devait donner une forme cartographique à une grande partie de cette terre demeurée jusque-là méconnue. Aujourd'hui encore, beaucoup d'endroits, sur les côtes australiennes, portent le nom dont Baudin et son intrépide équipage les avaient baptisés. L'expédition s'est révélée être également l'un des plus grands voyages scientifiques de tous les temps : le Naturaliste rentre au Havre en juin 1803 et le Géographe à Lorient le 21 mars 1804, rapportant des dizaines de milliers de spécimens de plantes inconnues, 2 500 échantillons de minéraux, 12 cartons de notes, observations et carnets de voyages, 1 500 esquisses et peintures. Ces descriptions importantes pour les naturalistes et les ethnologues s'accompagnent de cartes géographiques de presque toute la partie sud et ouest de l'Australie ainsi que de la Tasmanie.
Baudin méprisé.
Les exploits de Baudin restèrent largement méconnus, sauf chez les historiens australiens. Quelques historiens attribuent ce fait au silence de Péron et de Freycinet qui s'approprient ses découvertes et ne citent pas son nom. La mésentente initiale entre le commandant et les savants subsista et ne fit que s’aggraver au cours d’un voyage souvent pénible, dont Péron, dans sa rédaction officielle, garde le plus fâcheux souvenir. Tous les auteurs ont épilogué sur ce sujet, et, à première vue, on s’explique mal cette animosité entre les hommes de science et le chef qui fut l’ami de Humboldt et de Jussieu, du au Muséum et à l’Institut les véritables succès de sa carrière. Les raisons sont d’ordre psychologique : Baudin nous apparaît entier et autoritaire, sûr de soi et de sa science ; son abord peut être froid. Féru de discipline, il ne mâche pas ses mots, taquine ou reprend à plaisir les savants. Dès le début, il s’insurge contre leur nombre qu’il trouve excessif. Et chez ceux-ci la modestie, la patience ou la discipline n’accompagnent pas toujours les dons de l’esprit.
Une sorte de réhabilitation.
En 2000, Jacqueline Bonnemains, conservatrice du Muséum d'histoire naturelle du Havre, a publié le journal personnel de bord du commandant Baudin pour l'expédition de 1800-1803 et l'Imprimerie nationale en a assuré l'impression et la diffusion. Une maquette du Géographe a été réalisée par un arrière-petit neveu de Nicolas Baudin, notamment à partir de la description du navire fournie dans le journal personnel de bord du commandant Baudin et de la gravure en en-tête du papier à lettres de l'expédition - aujourd'hui exposée au Musée Ernest Cognac de Saint-Martin-de-Ré.
Pour en savoir plus :
- Nicolas Baudin, Voyage aux Antilles de La Belle Angélique, édition établie et commentée par Michel Jangoux,, Paris, PUPS, coll. « Imago mundi-Textes », 2009
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