Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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Alexandra David-Néel : une femme sur les routes de l'Asie

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Dans une page précédente, nous avons raconté l’histoire de Jane Baret qui avait dû, au XVIIIème siècle, se déguiser en homme pour accomplir son tour du monde. Au début du XXème siècle, les temps ont changé. Alexandra David-Néel n’eut besoin de l’autorisation de personne pour se lancer à l’assaut du Tibet. Alexandra David-Néel est une personnalité contrastée et complexe. Personnage hors du commun, elle a mené une vie très active, très longtemps. Hors du commun, elle l’est d’abord par sa longévité exceptionnelle, puisqu’elle meurt en 1969 à presque 101 ans,  mais elle l’est aussi par ses choix de vie. On peut, en effet, distinguer trois grandes périodes dans cette longue existence : 

- après la jeunesse, une carrière de cantatrice jusqu’à son mariage en 1904 ; 

- à  partir de 1905 et jusqu’en 1946, une longue pérégrination, en Europe d’abord, en Asie ensuite, ponctuée de brefs retours, puis de très longues absences. 

- enfin, la retraite active enfin dans sa maison de Digne à partir de 1946.

 

Une enfance bercée par la commune.  

 

Fille unique d’Alexandrine Borghmans et de Louis David, Alexandra nait à Saint-Mandé en France le 24 octobre 1868. Contre l’avis de sa mère, catholique, son père la fait baptiser en secret dans la foi protestante. En mai 1871, choqué par l’exécution de 147 communards devant le mur des Fédérés du cimetière du Père-Lachaise, Louis David y emmène Alexandra, qui n’a pas encore trois ans, pour qu’elle se souvienne de cette violence. Deux ans plus tard, la famille part s’installer en Belgique. Durant toute son enfance et son adolescence elle côtoie Élisée Reclus, qui l'amène à s'intéresser aux idées anarchistes de l'époque (Michel Bakounine) et aux féministes qui lui inspireront la publication de « Pour la vie »en 1898. Elle devient d'ailleurs une libre collaboratrice de « La Fronde », journal féministe créé par Marguerite Durand et géré coopérativement par des femmes. Elle participe également à diverses réunions du Conseil national des femmes françaises ou italiennes. Mais elle rejette en revanche certaines des positions prônées lors de ces réunions (par exemple le droit de vote), préférant la lutte pour l'émancipation économique. Alexandra s'éloignera d'ailleurs de ces « oiseaux aimables, au précieux plumage », ces féministes venant pour la plupart de la haute société, et oubliant la lutte économique à laquelle la plupart des femmes sont astreintes.

 

Vers le Bouddhisme et les premiers pas en Asie. 

 

Après des études musicales et lyriques, elle se lance dans des travaux sur la philosophie bouddhiste, apprend le sanskrit, suit les cours sur le Tibet au Collège de France et passe de longues heures dans la salle de lecture du musée Guimet : " L'Inde, la Chine, le Japon, tous les points de ce monde commencent au-delà de Suez… Des vocations naissent… La mienne y est née " écrit-elle plus tard. Vers 1891, devenue majeure et bénéficiant d'un petit héritage, elle s'embarque pour l'Inde. Elle est très vite envoûtée par ce grand pays où elle fuit la société coloniale et l'orientalisme de pacotille et parcourt seule le pays pendant un an.  

 

La cantatrice.

 

L'argent commençant à manquer, elle retourne en France avec la ferme intention de revenir. De retour à Paris où elle doit désormais gagner sa vie, plus nomade que jamais et forte de ses études musicales, elle se lance dans une carrière d'artiste lyrique. Elle se retrouve ainsi sur la scène de différents théâtres, puis, sous le pseudonyme de MademoiselleMyrial, elle aura l'emploi de première chanteuse aux théâtres de Haiphong et de Hanoï. Cette tournée au Tonkin terminée, elle retourne en France où elle publie un manifeste libertaire. De 1897 à 1900, elle partage, à Paris, la vie du pianiste Jean Haustont, avec qui elle écrit Lidia,drame lyrique en un acte dont Haustont compose la musique et Alexandra le livret. Elle part chanter à l'opéra d'Athènes, de novembre 1899 à janvier 1900 puis, en juillet de la même année, à l'opéra de Tunis. C’est dans cette ville qu’elle rencontre un cousin éloigné, Philippe Néel, ingénieur en chef des Chemins de fer tunisiens et qui est devenu son époux. Elle abandonne sa carrière de chanteuse à l'été 1902, à l'occasion d'un séjour de Jean Haustont à Tunis et assure, pendant quelques mois, la direction artistique du casino de Tunis, tout en poursuivant ses travaux intellectuels.

 

Mariage et voyages.

 

Le 4 août 1904, à Tunis, elle épouse Philippe Néel de Saint-Sauveur, son amant depuis le 15 septembre 1900. Elle a 36 ans. Leur vie commune, parfois orageuse, mais empreinte de respect mutuel, cesse le 9 août 1911, lors de son départ, seule, pour son troisième voyage en Inde (1911-1925) (le deuxième s'étant effectué pendant un tour de chant). Trois ministères l'aident à financer ce voyage d'étude. Alexandra ne veut pas d'enfant, elle a conscience que les charges d'une maternité sont incompatibles avec son besoin d'indépendance et son goût des études. Elle promet à Philippe de regagner le domicile conjugal dans dix-huit mois : ce n'est que quatorze ans plus tard, en mai 1925, que les époux se retrouveront… et se sépareront à nouveau au bout de quelques jours, Alexandra étant revenue avec son compagnon d'exploration, le jeune lama Aphur Yongden, dont elle devait faire son fils adoptif en 1929. 

 

Quatorze ans de voyage pour atteindre les portes de Lhassa. 

 

A 43 ans, Alexandra David Néel, toujours avide d'Orient et de périples lointains, motive son départ pour le grand voyage de sa vie dans une lettre qu'elle adresse à son mari : 

 

«  … Il y a une place très honorable à prendre dans l'orientalisme français, une place plus en vue et plus intéressante que celles de nos spécialistes… Vois l'immense succès de Bergson, excuse ma témérité, mais je crois avoir beaucoup plus à dire que lui. Pour cela il faut de l'énergie, du travail, une documentation qui ne laisse pas prise à la critique. Il faut que, lorsque je serai critiquée par les savants de cabinet, le public puisse penser : oui, ces gens-là sont d'éminents érudits, mais elle a vécu parmi les choses dont elle parle, elle les a touchées et vues vivre.. »

 

Ce départ marque le commencement d'une vie. A peine arrivée à Colombo, elle inaugure sa méthode et son style : le voyage érudit. Elle apprend les idiomes, traduit les manuscrits, rencontre des sages et des lettrés, puis s'essaie à la méditation. Sévère mais très documentée, elle est critique, privilégie toujours la rationalité face aux superstitions, et n'hésite pas à se travestir pour assister aux cérémonies interdites. En 1912, afin d'approcher et de révéler les arcanes du bouddhisme tibétain, elle escalade les Himalayas. Là, solidement recommandée par un évêque japonais, elle obtient une entrevue avec le treizième dalaï-lama exilé à la frontière du Tibet d'où il a été chassé par les Chinois ; celui-ci lui donnera rendez-vous à Lhassa, invitation qu'elle mettra onze ans à honorer ! Devenue disciple d'un grand maître tibétain, elle séjourne dans un ermitage himalayen, où elle mène une vie d'ascète.  Arrivée au Sikkim, où des liens de très étroite amitié l'ont liée à Sidkéong Tulku, souverain de ce petit état himalayen, elle a visité tous les grands monastères, augmentant ainsi ses connaissances sur le Bouddhisme et plus précisément sur le Bouddhisme tantrique. C'est dans l'un de ces monastères qu'elle a rencontré en 1914 le jeune Aphur Yongden dont elle fera par la suite son fils adoptif. Il restera avec elle et la suivra fidèlement pendant 40 ans et mourra même avant elle. Tous deux décident alors de se retirer dans une caverne ermitage à 3900 mètres d'altitude, au Nord du Sikkim. Puis, de villes en monastères, de vallées en déserts, à pied ou à dos de mule, accompagnée de Aphur, elle suit ses propres itinéraires, tandis que Philippe Néel se ruine pour entretenir chacun de ses pas. Alexandra méprise le confort, ignore les défaillances, manque de se faire dévorer par des yogis anthropophages et découvre l'art du "Toumo", qui consiste à supporter les froids polaires en majorant la chaleur de son corps. Révoltée par l'interdiction qui lui est faite de se rendre dans la capitale du Tibet et après plusieurs tentatives qui se soldent par autant d'expulsions, elle réalise un prodige : au terme d'un parcours de plus de 3 000 km, des mois d'errance à pied, des accidents et des démêlés avec les brigands, elle devient la première Occidentale à pénétrer dans la cité interdite de Lhassa en 1924. Elle a 56 ans.

 

Intermède européen

 

Rentrée en France, Alexandra David-Néel loue une petite maison sur les hauteurs de Toulon et cherche une maison au soleil et sans trop de voisins. Une agence de Marseille lui propose une petite maison à Digne-les-Bains en 1928. Elle, qui cherchait du soleil, visite la maison sous des trombes d'eau mais l'endroit lui plaît et elle l'achète. Quatre ans plus tard, elle commence à agrandir sa maison, baptisée Samten-Dzong ou « forteresse de la méditation »,le premier ermitage et sanctuaire lamaïste en France. Elle y écrit plusieurs livres relatant ses différents voyages.

 

Encore neuf ans en Chine.

 

Afin de garder la place qu’elle a durement acquise parmi les orientalistes, l’exploratrice juge qu’il lui faut retourner en Asie pour reprendre ses recherches. Toujours accompagnée d’Aphur Yongden qu’elle adopte officiellement en 1929 (son prénom en français est désormais Albert), devenu au fil des années un collaborateur indispensable et toujours aussi dévoué, elle part pour Pékin en 1937 à 69 ans. Quelques mois après son arrivée à Pekin en Transsibérien, elle se rend dans la montagne sacrée appelée Wutai Shan vivant parmi les moines. Les évènements internationaux ne tardent pas à contrecarrer son programme d’étude et lui causer de multiples difficultés tout au long de son séjour. Les raids aériens se multiplient et les deux compagnons doivent fuir et repartir vers l’ouest pour se fixer dans les marches tibétaines, à Tatsienlou en juillet 1938 où elle restera bloquée jusqu’en 1943 à 75 ans. C’est dans cette bourgade éloignée qu’elle apprend le décès de Philippe Néel au début 1941 : il avait 83 ans. Leur correspondance ne s’était jamais interrompue. Elle est rapatriée en France en 1946 à l’âge de 78 ans non sans avoir passé une dernière année en Inde.

 

Un héritage littéraire impressionnant.

 

Alexandra David-Néel ne posera définitivement ses malles qu'à 78 ans, après avoir parcouru l'Asie de long en large. Installée dans sa retraite à Digne, celle que les Tibétains considèrent comme une déesse passera son temps à l'étude et à l'écriture. Femme d'action doublée d'un écrivain, elle s'éteindra à 101 ans, après avoir ouvert l'Occident au cœur des philosophies bouddhistes et hindouistes au travers d'une trentaine d'ouvrages, tels : « La vie surhumaine de Guésar de Ling »,« Le bouddhisme du Bouddha »et « Les enseignements secrets des bouddhistes tibétains » (éditions Adyar). Elle, l'exploratrice de terrain, par ses livres, propose une belle invitation au voyage intérieur. Elle laisse aussi une masse importante de  récits de voyage qui restent encore de nos jours une mine d'informations considérables pour toute personne désirant se rendre en Inde ou en Asie. Ils s'intitulent entre autres : « Voyage d'une Parisienne à Lhassa », « Au pays des brigands gentilshommes »,« L'Inde où j'ai vécu », « Journal de voyage. Lettres à son mari »...

 

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Pour en savoir plus :

 

Marie-Madeleine Peyronnet, Dix ans avec Alexandra David-Néel, Plon, 1973 (réédition 1998)

 

Jean Chalon, Le Lumineux Destin d'Alexandra David-Néel, Librairie académique Perrin, 1985. 

 

Cliquez ici pour télécharger la page 

 

alexandra.pdf



29/10/2018
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