Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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L'épopée du Dr Livingstone

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Cette phrase fut  prononcée par Henry Morton Stanley, journaliste américain, lancé sur les traces du docteur Livingstone,  le 3 novembre 1871, à Ujiji, sur les bords du lac Tanganyika. Elle lie de manière indissoluble ces deux hommes, aux origines similaires, mais aux parcours de vie très différents.  Ils ont contribué à enrichir de manière considérable notre connaissance de l’Afrique à la fin du XIXèmesiècle, mais ils nous apprennent également comment se construit un mythe. 

 

Livingstone : Une enfance digne d’Oliver Twist. 

 

David Livingstone est né le 19 mars 1813 dans une famille pauvre à Blantyre, au sud de Glasgow. Second fils de Neil Livingstone (1788-1856) et de sa femme Agnès (1782-1865), il est élevé dans la religion presbytérienne avant de se convertir au congrégationalisme. Le père, Neil, est vendeur de thé ambulant, un bon métier pour placer ses tracts religieux, pas pour nourrir sa famille. Ses garçons travaillent à la filature. Comme tous les enfants de Blantyre, ils sont piecers, chargés de se faufiler entre les machines et de rabouter les fils sur le point de se briser. Travail épuisant. Il faut de l'agilité et de la résistance pour marcher ou ramper sur des kilomètres jusqu'à trente dans une seule journée ! Tension permanente, coups de fouet au moindre instant de relâchement. L'air moite est tellement surchauffé que la plupart des ouvriers travaillent à moitié nus. David Livingstone n'a pas d'enfance. Il est ouvrier six jours par semaine, quatorze heures par jour, écolier le reste de son temps de veille. A 8 heures du soir, aussitôt sorti de la filature, il se rend à l'école pour deux heures de cours. La quasi-totalité de ses camarades restera illettrée. Lui est sérieux, déterminé jusqu'à l'obsession, jusqu'à en devenir associal. Mais, à 23 ans, lorsqu'il entre à l'université pour étudier la médecine, il ne le doit qu'à sa volonté inflexible de s'être dégagé de la toile d'araignée. Chez David Livingstone, la survie précède l'existence. En 1834, Neil Livingstone (le frère de David) ramène chez lui une brochure de Karl Gützlaff appelant à l'envoi de missionnaires médecins en Chine. David s'appuie sur elle pour démontrer à son père que son désir grandissant d'étudier la médecine est compatible avec la piété. En 1836, il a suffisamment épargné pour pouvoir entrer à l'Anderson's College de Glasgow. En outre, ses qualités intellectuelles permettent d'obtenir une bourse pour mener des études de théologie et de médecine à l'université de Glasgow. Il obtient enfin une licence de médecine. Il travaille ensuite à Londres avant de céder à sa fascination de jeunesse pour l'aventure missionnaire et rejoindre la London Missionary Society. 

 

Trente années de passion pour l’Afrique.

 

En décembre 1840, il part enfin pour l'Afrique, il a 28 ans. "Il était intolérant, étroit et arrogant, écrit son biographe Tim Jeal. Il était aussi déterminé, courageux et résilient. Prises ensemble, ces caractéristiques ne le rendaient pas aimable, mais, à considérer le début de sa vie, il eût été étrange qu'il émerge comme un jeune homme poli, aimable et ouvert."Le voilà médecin et missionnaire ; un missionnaire incapable de prêcher et un médecin qui voit la saignée comme remède à tous les maux, mais qu'importe. Un continent s'ouvre à lui, dont l'exploration le passionne. Il y arrive sans état d'âme, "en tant que représentant d'une race supérieure",avec sa foi et ses convictions. Il est viscéralement opposé à l'esclavage et pense que le christianisme et le commerce apporteront la civilisation à l'Afrique. En 1844, à Kuruman, base arrière de ses futures expéditions, il rencontre et épouse en janvier 1845 la fille du missionnaire congrégationaliste (Robert Moffat), Mary, née le 12 avril 1821 à Griquatown, dans la colonie du Cap (Afrique-du-Sud). Elle voyage quelque temps avec lui, malgré sa grossesse et les injonctions de sa famille. Ultérieurement, elle revint finalement en Angleterre avec leur enfant. Livingstone était également accompagné dans ses explorations par un groupe de Makololo, des Zambéziens. Il maîtrise leur langue, un dialecte du setswana, ce qui facilite ses explorations dans la mesure où les langues des populations, auxquelles il devait être confronté, présentaient  de grandes similarités avec ce dialecte, notamment le sesotho. Le fait d'utiliser la langue maternelle des populations à qui il s'adressait dans sa prédication de l'Évangile était un principe cardinal de l'explorateur écossais. Il fait trois grands voyages. A partir de 1849, en remontant la rivière Botletle, David Livingstone pense avoir trouvé la voie d'accès au centre des terres africaines et  commence à explorer le centre-sud du continent africain. Il traverse le désert du Kalahari jusqu'au lac Ngami. À partir de 1851-1852, il remonte le Zambèze, dont il établit la cartographie, puis rejoint la côte atlantique à Luanda en Angola. Après avoir exploré, le premier, la rivière Kasaï, un affluent du Congo, en 1854, et traversé l'Angola, il arrive le 17 novembre 1855 aux chutes du Zambèze, qu'il baptisa du nom de la reine Victoria. Grâce à cette expédition, débutée le 20 septembre 1854, il devient le premier Européen à avoir traversé l'Afrique d'ouest en est, rejoignant l'océan Indien à Quelimane le 20 mai 1856. Livingstone reprend, à partir de 1858 et jusqu'en 1864, ses explorations dans la même région. Il démissionne de la London Missionary Society dont  les finances fragiles rendaient réticente à financer des activités trop éloignées de la stricte pratique missionnaire.  Cependant, le gouvernement britannique, alléché par les perspectives commerciales de la vallée du Zambèze que laissait entrevoir le récit de Livingstone, accepte de financer cette expédition. Cette dernière s'avère cependant coûteuse et décevante, y compris en terme de lutte anti-esclavagiste. Elle lui permet néanmoins de découvrir, le 16 septembre 1859, le lac Malawi, qu'il cartographia, ainsi que les ruines de la mission portugaise de Zumbo en 1860. 

 

A la recherche des sources du Nil.

 

Après le demi-échec de la deuxième expédition, Livingstone cherche à redorer son blason. C'est pourquoi, en 1866, il s'enfonce, une troisième fois, vers le coeur du continent pour éclaircir la dernière grande énigme de l'exploration, le mystère des sources du Nil. Il s'oriente vers le lac Tanganyika en Tanzanie, dans l'espoir de les y trouver. Malade et abandonné par ses porteurs, il perd alors totalement contact avec son pays d'origine. Il se retire à Ujiji, sur les bords du lac Tanganyika. C’est ici que Henry Stanley va venir le rencontrer. 

Henry Morton Stanley partage avec Livingstone d'avoir survécu à l'enfance. Fils illégitime d'un paysan gallois, abandonné par sa mère, il a enduré les violences d'un pédagogue sadique à l'orphelinat, avant d'émigrer aux Etats-Unis. Il y a trouvé un père adoptif qui lui a donné son propre nom. Il a fait la guerre de Sécession comme soldat, au Sud, puis au Nord. Juste avant la fin de la guerre en 1865, il déserte et se rend à Saint-Louis, où il est engagé comme correspondant indépendant d'un journal local. Il envoie des nouvelles de l'Ouest : Denver, Salt Lake City, San Francisco. A la suite du général major Winfield Scott Hancock, il participe aux guerres indiennes. Bien que l'année où il était « journaliste »soit marquée par des négociations de paix, il rédige des articles décrivant des batailles pleines de fureur, ce que son journal attendait. De cette manière, il attire l'attention de James Gordon Bennett Jr., le patron du New York Herald, un journal à sensation. En 1867, il devient correspondant pour ce quotidien. Un an plus tard, de passage à Paris, Stanley est convoqué au Grand Hôtel par son nouveau patron. Au jeune homme de 28 ans, habile chasseur de scoops, Bennett offre une proie inattendue : "Trouvez Livingstone." L'explorateur est alors plutôt oublié que disparu. Début 1867, avant qu'une rumeur sur sa mort ne soit démentie, plusieurs journaux avaient eu le temps de publier de brèves nécrologies. Qui se soucie encore de Livingstone ? Bennett, qui sait combien les dernières zones blanches de la carte du monde font rêver, flaire la bonne histoire. Pour retrouver le Blanc qui n'a pas vu un Blanc depuis bientôt cinq ans, son reporter pourra tirer autant de traites de 1 000 livres que nécessaire et il ne s'en privera pas.

 

Une expédition de légende. 

 

A Zanzibar, Stanley achète 6 tonnes de matériel, engage 192 porteurs et fait route vers l'ouest, n'hésitant pas à fouetter les récalcitrants, hommes et femmes. En cinq mois, il est sur la rive du lac Tanganyika, à Ujiji, un caravansérail, carrefour sur les voies commerciales de l'ivoire et des esclaves. Le 3 novembre 1871, pour l'Histoire, il marche d'un pas ferme, dans un complet de flanelle impeccable, vers le vieil homme qui le regarde d'un air incrédule. La voix tremblante d'émotion, il soulève son casque colonial et prononce les quatre mots qu'il prépare depuis des mois : "Doctor Livingstone, I presume ?" Flatté de découvrir qu'on s'intéresse à lui et à ses entreprises au point d'envoyer une riche expédition à son secours, l'explorateur offre son amitié à Stanley, dont la cuisinière le nourrit quatre fois par jour. Stanley et Livingstone discutent ensuite de ce que ce dernier ignorait du fait de son isolement : le conflit franco-prussien, le percement du canal de Suez, l'établissement d'un câble télégraphique à travers l'Atlantique !

Ensemble, ils explorent le nord du lac Tanganyika. Ils ne trouvent pas le Nil qui devrait en sortir, mais le Roussizi, qui s'y jette et qu'ils remontent en direction du lac Kivu (ce même fleuve, qui charriera les corps des victimes du génocide rwandais). Stanley prend seul le chemin du retour. Livingstone, après cinq mois passés avec lui, devrait le suivre pour se soigner. S'il pouvait énoncer ses symptômes au centre médical de l'Institut Pasteur, le docteur Livingstone apprendrait qu'il est un tableau vivant de la plupart des grandes maladies tropicales aujourd'hui connues : tuberculose et scorbut, amibiase chronique, et très probablement bilharziose et paludisme...

 

La construction du mythe. 

 

David Livingstone décède le 1er mai 1873 de dysenterie sur les bords du lac Bangwelo dans l'actuelle Zambie, toujours à la recherche des sources du Nil. Plusieurs objets lui appartenant (guêtres, matelas...) y sont mis en vente et son corps rapatrié au Royaume-Uni. David Livingstone est enterré au milieu de la nef centrale de l'abbaye de Westminster l'année suivante, en véritable « saint victorien ». Le récit, que fit Stanley de son expédition « (How I found Livingstone), joua un rôle déterminant dans sa « canonisation »en élevant l'explorateur écossais au rang de mythe. Livingstone fut érigé en modèle héroïque d'une civilisation britannique conquérante et dominatrice. Il est d'ailleurs emblématique des ambiguïtés de l'impérialisme victorien notamment dans ses motivations. Livingstone était indéniablement mû par la volonté d'évangéliser les populations africaines comme de les soustraire à la traite (ses rapports seraient par exemple à l'origine du traité imposant en 1873 au sultan de Zanzibar l'interdiction du trafic d'esclaves). En revanche,  sa volonté de définir préalablement les richesses exploitables des territoires africains encore inconnus des Européens fit de lui le symbole d'un « glissement dans la manière de conquérir l'empire, de plus en plus strictement organisée et plus systématiquement orientée par des fins utilitaires ». 

 

 

 

Pour en savoir plus :

Le dernier journal de Livingstone, 1866-1873, de David Livingstone. Arléa, 1999 

David Livingstone,de Rob Mackenzie (Kingsway, 1993) ;

David Livingstone au coeur du continent africain: Un aventurier engagé contre l’esclavage  de Julie Lorang et Thomas Jacquemin ;

Henry Morton Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone -Librairie Hachette, série Voyages », 1876.

 

Cliquez ici pour télécharger l'article

 

Dr-Livingstone.pdf

 

 



11/06/2018
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