L’affaire Cadiou : l’au-delà au service des enquêteurs.
En 1922, le juge d’instruction François Richard avait, dans l’affaire « du corbeau de Tulle » (voir https://www.pierre-mazet42.com/croassements-meurtriers-au-dessus-de-tulle), organisé une séance d’hypnose pour tenter d’obtenir des témoignages. Cela lui avait valu les railleries de la presse et les foudres du pouvoir. Pourtant, dans l’histoire de la criminologie de la première moitié du XXème siècle, il n’était pas le premier à avoir eu recours à ce genre de méthode. En 1914, à l’aube de la guerre, la disparition de Louis Cadiou, industriel breton, donna son heure de gloire à Madame Camille, qui se qualifiait de « somnambule ».
Du bruit dans Landerneau.
Au début du XXe siècle, engagée dans une compétition militaire avec l’Allemagne qui devait déboucher sur la Première Guerre mondiale, la France se couvre d’usines d’armements. A côté de Landerneau, l’usine de Grand Palud se spécialise ainsi dans la fabrication de cotons, utilisé dans les obus et les explosifs. A la tête de cette usine, se trouve Louis Cadiou, ancien avoué de Morlaix. La charge de travail n’est pas écrasante. D’ailleurs, il ne réside à Landerneau. Il habite Paris en compagnie de son épouse. Cadiou ne visite que rarement l’usine. La direction effective est assurée par le directeur technique, l’ingénieur Louis Pierre. A la fin de l’année 1913, Cadiou se rend à Landerneau pour boucler les comptes annuels et rendre visite à ses nombreux amis et parents résidant dans le nord du Finistère. Il n’envisage qu’un court séjour puisqu’il assure à son épouse : « je serai là au plus tard le 31 décembre au matin par l’express de nuit ». Mais le 31, elle ne le voit pas arriver. Un premier télégramme reste sans réponse. Un second message envoyé, cette fois, à l’ingénieur Pierre reste lui aussi sans écho. Dès lors, madame Cadiou se persuade que son mari a été assassiné. Elle fait part de ses angoisses à Émile Cloarec (1858-1914), député du Finistère et ami de la famille, qui prévient la Sûreté générale qui met deux inspecteurs à sa disposition. C’est le début d’une affaire qui a fait les gros titres de la presse pendant plusieurs mois. Les gendarmes fouillèrent en vain les bois proches de l’usine ; en vain, ils sondèrent l’Elorn. Toutes les pistes furent explorées : accident, crime, suicide, fugue, mais durent être abandonnées les unes après les autres. Comme l’écrivait le journaliste du Matin du 13 février : « Chacun, de ses déductions, tire une conclusion. Toutes peuvent être vraies, mais aucune ne peut être étayée sur un mobile vraisemblable ». Les enquêteurs n’avaient recueilli que des témoignages contradictoires sur la présence, ici ou là, de Louis Cadiou, après le 29 décembre et des rumeurs. Ainsi, Louis Cadiou aurait été, en France, l’homme de paille d’une société allemande, Teiming et Falen-Marck, qui aurait trouvé, par-là, le moyen d’écouler ses produits, frelatés, dans l’armée et la marine françaises (L’Œuvre, 23 décembre 1909),. On attribuait, à la mauvaise qualité des poudres la catastrophe du cuirassé Iéna, qui, le 12 mars 1907, fut détruit par une explosion due à l’inflammation spontanée de la poudre B, faisant plus de cent victimes, ainsi que celle du cuirassé Liberté, le 25 septembre 1911 (400 victimes).
Louis Cadiou avait été, d’ailleurs, mais pour d’autres motifs, frauduleux, exclu de la liste des fournisseurs de guerre. Ainsi, son frère, Jean-Marie Cadiou, pouvait-il se croire fondé à affirmer que l’industriel avait été victime d’une vengeance.
Cependant, bien que l’enquête se poursuivît activement (ce fut une des premières interventions de la 13e brigade mobile, créé en août 1911), elle piétinait.
L’au-delà au secours des enquêteurs.
Pour tenter de faire face au désarroi familial, causé par cette disparition, la belle-sœur du frère de madame Cadiou se rend à Nancy pour y consulter une célèbre somnambule (Madame Camille), qui aurait donné à une famille en deuil la clé d’une tragique énigme. C’est une certaine madame Sainby qui se chargea d’aller l’interroger. Endormie par sa marraine, elle fit la déclaration suivante :
« M. Cadiou a été tué près de son usine. Il y a deux assassins, l’un grand, barbu et châtain, l’autre plus petit. Ce dernier faisait le guet pendant que son compagnon, après avoir fait tomber M. Cadiou à l’aide d’une corde, l’assommait. Le premier coup a été porté à la tête, à gauche. Cherchez aux environs, à droite du moulin, près de l’eau, mais dans les bois. Le corps est sous très peu de terre. »
Ses propos furent transmis immédiatement à madame Cadiou. Cette dernière convaincue, que la justice ne prendrait pas au sérieux cette déclaration, chargea son beau-frère (Jean-Marie Cadiou) de faire procéder à de nouvelles recherches. Jean-Marie se met aussitôt en campagne. Voici le récit qu’en fait le journal « Le Matin » du 5 février :
« Il fouilla tous les buissons voisins du moulin et notamment les bois de M. Vacheront, maire de La Forest. Vers dix heures, il arriva dans un étroit sentier encaissé entre deux talus et aboutissant à un ruisseau. Écartant avec son bâton les branches de houx et de genêts, il arriva au pied d’un orme où la terre lui parut avoir été remuée depuis peu. Le cœur battant, il gratta avec l’extrémité de son bâton, découvrit un morceau d’étoffe et, pour aller plus loin, employa cette fois les ongles. Le malheureux reconnut bientôt le veston que portait son frère. Alors, il courut au moulin, ramena le contremaître de l’usine et c’est ce dernier qui, avec les mains, mit à jour le corps de son patron. »
C’est ainsi qu’après 34 jours de recherche, on découvrit le corps de Louis Cadiou. Le procureur de la République dépêcha sur les lieux, avec le juge d’instruction et un médecin-légiste, un gendarme qui déclara : « Je ne croyais pas à l’hypnotisme jusqu’ici, mais m’y voici converti bien sincèrement. »
Mais, qu’a donc vu la voyante ?
Si le gendarme accorde une confiance sans faille aux dires de la voyante, ce n’est pas le cas de nombre de journalistes. Ainsi L’Est républicain du 6 février écrit :
« Personne ne peut croire à la double vue d’une somnambule en pareille occurrence. »
Alors qu’un ingénieur, Louis Pierre, directeur technique de l’usine de la Grand’ Palud était arrêté, puis inculpé d’assassinat, il formulait l’hypothèse que « l’histoire de la somnambule est un stratagème employé par la famille, afin de soustraire à des représailles le dénonciateur de l’ingénieur Pierre » qui aurait touché 2 000 francs promis par Mme Cadiou à la personne qui découvrirait le corps de son mari et désirait garder l’anonymat.
Dès lors, madame Camille devint la gloire de Nancy. Elle eut les honneurs de la presse et du cinématographe. Le nombre de ses clients augmenta ainsi que ses tarifs. Un agent de police de Pont-à-Mousson pouvait regretter, auprès de Ludovic Chave, journaliste de L’Est républicain (15 février), qu’on ne recourût pas plus souvent aux sciences occultes dans les affaires criminelles :
« Ainsi nous avons épuisé en pure perte de temps et d’argent tous les moyens de prouver la culpabilité d’un individu sur qui, il y a deux ou trois ans, pesaient les plus lourdes présomptions ».
Il y avait, des non-convaincus, des sceptiques, des incrédules. Un journaliste (Le Matin, 10 février), recueillit l’opinion d’Hippolyte Bernheim (https://fr.wikipedia.org/wiki/Hippolyte_Bernheim). Celui-ci déclara : « Je me rappelle parfaitement avoir souvent assisté à des expériences du professeur Liébeault, au cours desquelles on endormait la petite Camille, alors âgée d’une quinzaine d’années. Je l’ai toujours considérée comme un sujet se prêtant facilement, et avec sincérité, aux nombreuses expériences scientifiques que nous faisions alors ; je n’ai cependant jamais observé, chez elle, de phénomènes merveilleux. Je n’ai, d’ailleurs, jamais pu obtenir, au cours de ma longue carrière, de phénomènes de vision à distance ni de divination.»
Mais que devient l’enquête ?
En dépit de la faiblesse des charges qui pèsent contre lui, l’ingénieur Pierre est arrêté et inculpé car le juge s’instruction est persuadé de sa culpabilité. Il fallut une injonction du parquet pour qu’il fut remis en liberté au bout de 110 jours, mais il restait inculpé. La guerre, qui arriva, empêcha la tenue du procès. Louis Pierre, mobilisé rejoignit son régiment. C’est le 23 septembre 1919, que le procès s’ouvrit devant la cour d’assises de Quimper, et qu’on assista au retour de madame Camille. Le journaliste « du Matin », qui n’a rien perdu de sa verve, la qualifie de « Sherlock Holmes de l’au-delà ». Voici une partie de son interrogatoire :
« Quelle est votre profession ? demande le président.
- Somnambule !
- De quoi vous occupez-vous principalement ?
- Je ne travaille que dans la recherche de l’assassinat.
- Depuis quand exercez-vous cette profession ?
- Il y a si longtemps que je ne m’en souviens plus.
- Vous rappelez-vous l’entrevue que vous avez eue avec Mme Sainby ?
- Tout ce que je puis vous dire, monsieur le président, c’est que c’est ma marraine, comme d’habitude, qui m’a endormie. Quand je me suis réveillée, j’avais des larmes pleins les yeux. Mais je ne me souviens jamais de ce que j’ai vu en état de sommeil. Je ne sais si ce sont mes propres révélations que ma cliente m’a racontées.
- Personne ne vous a fourni des renseignements sur le crime de la Grand’ Palud ?
- Oh ! personne. »
Le président ne poussa pas plus l’interrogatoire.
Épilogue.
L’évènement mobilisa tant la presse régionale que nationale, d’autant que l’accusé était défendu par Henri Robert, surnommé « le maître des maîtres de tous les barreaux ». Le ténor n’avait pas usurpé sa réputation : Louis Pierre est acquitté, le 1er novembre 1919, sous les ovations du public. Et à ce jour, le meurtre de Louis Cadiou n’a toujours pas été résolu ! Madame Camille tomba dans l’oubli et ne fit plus parler d’elle.
Pour en savoir plus :
https://fr.calameo.com/read/002603450988b4dea699f
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