René Caillié au coeur de Tombouctou
Le 8 septembre 1828, le Consul français de Tanger Delaporte recevait dans sa maison un curieux mendiant. Sale, vêtu de haillons, maigre et apeuré, il disait s'appeler René-Auguste Caillié et avoir traversé le continent africain en passant par Tombouctou, surnommée à cette époque « La Mystérieuse ». Il apportait comme preuves de ses affirmations ses notes prises en cachette de ses compagnons de route et le récit des difficultés qu'il avait affrontées. Delaporte le crut et il fut à la fois l'homme privilégié et le bon samaritain qui sauva à plusieurs titres l'explorateur de la mort, l'accueillit avec bonté et mit en œuvre son pouvoir pour le rapatrier. Mais comment René Caillié en est-il arrivé là ?
Une enfance malheureuse.
René Caillié voit le jour le 29 brumaire an VIII — 19 novembre 1799 — à Mauzé-sur-Mignon ou Mauzé-en-Aunis, bourgade située entre Niort et La Rochelle. Il nait en quelque sorte sans père. Ce dernier, ouvrier-boulanger, purge alors une peine de 12 ans de bagne, pour un vol commis quatre mois avant la naissance du petit René. En 1811, après le décès de ses parents, René est recueilli par sa grand-mère maternelle. A l'école de Mauzé, élève studieux, il se passionne pour la géographie. Mis en apprentissage chez le cordonnier du bourg, il se désintéresse du travail du cuir. Son comportement est jugé étrange. Ne se mêlant pas aux divertissements des «drôles» et des «drôlesses»— des garçons et des filles— de son âge, il recherche la solitude pour lire et relire Robinson Crusoé et tous récits d'explorateurs qu'il peut se faire prêter.
Une arrivée tourmentée en Afrique
A seize ans, sans un sou en poche, il se fait embarquer comme domestique d’un officier à bord de la flûte « La Loire » à destination de Saint-Louis-du-Sénégal, qui ne connaîtra pas le tragique destin de son accompagnante, la frégate «La Méduse ». (La Méduse). En fait, c'est son appartenance à la famille d'un bagnard qui lui vaut, comme à d'autres indésirables en métropole tels que d'anciens jacobins, des Noirs, ce voyage dans l'escadre de La Méduse. L’escadre quitte son mouillage près de l’Île d’Aix au nord de l’embouchure de la Charente le 17 juin 1816. Arrivé à Saint-Louis, Caillié tente de se joindre à l'expédition du major Gray, à la recherche de Mungo Park[1]. Il lui faut pour ce faire parcourir 300 km à pied ; il a présumé de ses forces et, en arrivant à Gorée, un officier français lui procure un passage sur un bateau pour la Guadeloupe où il ne restera que peu de temps. Il revient à Mauzé et en repart rapidement : à la fin de 1818, il est de nouveau à Saint-Louis, toujours démuni de moyens financiers. Cependant, il peut se joindre à l'expédition de Partarrieu dont le but est de délivrer le major Gray, retenu prisonnier par le roi du Bondou. Cette expédition fut un échec ; l'intransigeance des populations du Fouta- Toro, l'impossibilité́ dans laquelle elles mirent les membres de l'expédition d'accéder aux puits, la réduisirent à une misérable bande assoiffée et décimée qui parvint non sans peine au fort de Bakel. Caillié, terrassé par la fièvre, fut hospitalisé plusieurs mois à Saint-Louis avant de pouvoir revenir en France.
Tombouctou : une obsession.
Tombouctou est un objet de fascination quasi éternelle pour les Européens. Cette réputation a été nourrie par les récits de grands voyageurs, comme le marocain Ibn Battuta qui y séjourna en 1352. Il décrit ici la cour impériale :
« La salle (d'audiences) a trois fenêtres en bois recouvertes de plaques d'argent et, au-dessous, trois autres recouvertes de plaques d'or... Les écuyers arrivent avec des armes magnifiques : carquois d'or et d'argent, sabres ornés d'or ainsi que leur fourreau, lances d'or et d'argent, massues de cristal […]. Certains jours, le sultan tenait audience dans la cours du palais sous un arbre. Il était assis sur une estrade recouverte de tapis de soie, et surmontée d'une ombrelle de soie, couronnée d'un oiseau en or. Le sultan porte une coiffe en or. Il est vêtu d'une tunique de velours rouge confectionnée dans de précieux tissus venus d'Europe. Il est précédé de musiciens dont les guitares sont en or et en argent. Derrière lui, 300 esclaves soldats ». (Ibn Battuta, Voyages, 1352-1353).
Après avoir été dominée par les Touaregs (XIVe siècle), la cité marchande se place sous la protection de l'empire songhaï et multiplie les échanges avec les grands centres commerciaux au point de regorger au XVe siècle d'articles de luxe venus de Venise ou d'Orient. Mais, c'est surtout en profitant du développement qui a lieu au Soudan au XVe siècle, concomitant à notre « Renaissance », qu'elle devient «la Perle noire du désert ». C'est du Maroc que viendra le signal de la décadence : le sultan Al Mansour, s’inquiétant des visées de Charles Quint et des Turcs d'Algérie sur son royaume, dirige ses regards vers le sud. À la fin du XVIe siècle, après la bataille de Tondibi, Tombouctou est mise à sac par les mercenaires espagnols et ses savants sont déportés au Maroc. La ville entre dans un long sommeil
Tombouctou renaît au XIXe siècle dans l’imaginaire des explorateurs à mi-chemin entre romantisme et nouvelles ambitions. Elle devient une destination héroïque, un terrain de jeu pour les orgueils nationaux, en quelque sorte l’horizon de l’action et de la force humaines sur la nature. Dès lors que Tombouctou est surtout associée au désert, y parvenir, pour les Européens, signifie en premier lieu vaincre le Sahara.
La rude traversée.
En 1824, pour la troisième fois, il est à Saint-Louis. Fort des expériences malheureuses des expéditions de pénétration au cœur de l'Afrique, il met au point une stratégie originale pour gagner Tombouctou : il voyagera seul avec les caravanes indigènes qui sillonnent l'Afrique et sera musulman parmi les musulmans. Il se crée un nouveau personnage : Abd-Allahi, enlevé dès son enfance par des soldats, élevé par les Français, il veut retourner en Egypte, y retrouver sa famille et vivre la foi du Prophète. Il se revêt d'un coussable[2], chausse des sandales et, le Coran et un chapelet à la main, s'astreint à un stage de huit mois chez les Maures Braknas, réputés pour leur piété fanatique.
Pendant trois ans environ, Caillié connut une période de flottement ; on essaye de le décourager : « Un de mes amis m'engagea vivement à renoncer aux voyages, à quitter mon costume et à me mettre dans le commerce : mais cet ami connaissait mal mon caractère persévérant et doutait de mon courage. Les sarcasmes des Européens me rendirent plus cher le costume africain ; je fus fier de le porter ; je bravai les railleries, je méprisai la calomnie ; et, faisant peu de cas des avantages que pouvait m'offrir le commerce, je persistai dans mes projets. »
Rejeté par les communautés françaises et anglaises, après avoir réuni ses économies (2000 F à peine) et acheté́ des objets de pacotille qui lui permettront d'obtenir l'hospitalité́ des indigènes, il se joint, le 19 avril 1827, à une caravane qui part de Kakondy, aujourd'hui Boké, sur le Rio Nunez. Outre sa pacotille, il emporte avec lui un parapluie et une petite pharmacie, deux boussoles, un bâton de 1 mètre et... ses pas qu'il a étalonnés. Ce seront tous ses instruments de mesure. Tout au long du trajet, il va se joindre à des caravanes qui vont toute dans la même direction : Tombouctou. Son trajet va d’abord d’ouest en est, à travers le Fouta-Djallon jusqu’à Timé. Puis, bifurquant au nord en direction de Jenné, il s’embarque sur le Niger, jusqu’à Cabra le port de Tombouctou.
Le voyage de René Caillié.
Du mythe à la réalité.
Quand il arrive à Tombouctou au soir du 28 avril 1828. Caillié pourrait être un homme heureux, émerveillé, comblé. Mais, le rêve s’évanouit bien vite. Tombouctou n'est pas la grande ville paradisiaque décrite par Jean-Léon l'Africain et enjolivée par les récits de Paul Imbert. C'est une grosse agglomération de 15 000 habitants environ, faite de maisons mal construites, lieu de transit et de marché à la jonction d'une voie fluviale, le Niger, et des pistes du Grand Désert. La chaleur y est écrasante nuit et jour, le vent aggrave la sècheresse, la végétation est pauvre. Enfin, les pillages des Touaregs donnent un sentiment d'insécurité. Aussi, malgré les propositions de son hôte de s'installer à Tombouctou, ses ressources s'épuisant, Caillié souhaite revenir en France. Il se fait accepter par des caravaniers qui vont affronter la pénible traversée du Sahara durant 78 jours, jusqu'à El Harib. Puis, passant par Fez, Meknès et Rabat, il arrivera à Tanger ayant épuisé́ son capital de matériel, de santé et d'énergie. Il aura parcouru environ 4 500 k m en 538 jours.
Il est ensuite accueilli à Paris par Edme Jomard, membre fondateur de la Société́ de géographie, qui ne cessera, jusqu'à son dernier jour, de lui manifester une bienveillante affection. C'est avec l'aide de Jomard qu'il va rédiger le « Journal d'un voyage à Tombouctou et à Jenné en Afrique centrale », d'après ses notes et ses souvenirs. Cet ouvrage sera publié en 1830.
Que reste-t-il du voyage de Caillié ?
Dans son volumineux ouvrage, les détails de toute sorte foisonnent un peu pêle-mêle. Il n'en a pas moins intéressé les géographes pendant de nombreuses décennies. Les erreurs topographiques sont peu importantes, ce qui est surprenant vu l'extrême modicité de l'instrumentation de Caillé́. On y trouve une description abondante, parfois lyrique, de tout ce qu'il a vu quant aux sites, à la végétation et aux mœurs des peuplades qu'il a rencontrées. Jules Vernes le qualifie du « plus intrépide voyageur des temps modernes ». A la fin du XIXème, il est admiré comme ouvreur de l’empire colonial français africain. En 1885, ses biographes Emile Goepp et Etienne Cordier l’embarquent dans l’aventure coloniale « René Caillié a été le précurseur des grandes choses qui, plus de cinquante ans après lui, s'accomplissent sous nos yeux. Il n'a pas créé de mer, ni percé d'isthme ; mais il a tracé une route, et cette route que durant de longs mois il a cheminé douloureusement aux prix de fatigues inouïes, voilà que déjà nous pouvons prévoir le jour, où sillonnée par des machines à vapeur, elle nous livrera toutes les richesses de l'Afrique centrale.
Caillié semble ainsi embarquer, malgré lui, dans un mouvement qui a réduit l’Afrique, ses habitants et ses empires, au rang de vassal des puissances européennes, lui qui ne rêvait que d’aventures !
Bibliographie :
CAILLIÉ René, «Journal d'un voyage à Jenné et à Tombouctou en Afrique centrale».
DURAND Oswald, «René Caillié et Tombouctou».
LAMANDÉ A. et J.NAUTEUIL, «La vie de René Caillié, vainqueur de Tombouctou»
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