Du Polar et de l'Histoire : le blog de Pierre Mazet

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Le meurtre de Paul Grappe, le déserteur travesti

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En janvier 1929, devant la cour d’assises de la Seine, s’ouvre le procès de Louise Landy. Elle est accusée d’avoir abattu son mari, le 21 juillet 1928. Paul Grappe, c’est son nom, a reçu deux coups de revolver. Ce dernier reste célèbre, pour s’être travesti pendant dix ans en femme afin d’échapper à l’enfer des tranchées. Redevenu « homme » en 1925, déstabilisé psychologiquement par les années qu'il vient de vivre, il devient alcoolique et violent. Habilement défendue par Maurice Garçon, l’accusée passe, au cours du procès, du statut d’assassin à celui de victime et finit par être acquittée. 

 

Paul devient femme. 

 

Paul Grappe effectue son service militaire en 1912. Un mois avant « la quille », il est mobilisé et rejoint le 102e régiment d’infanterie. Blessé deux fois en 1914, son officier soupçonne à la seconde reprise une « fine blessure » (une automutilation de la main droite). Il est arrêté mais bénéficie d'un non-lieu. Transféré à l'hôpital, sa blessure ne cicatrise pas. Accusé de l'aggraver pour ne pas retourner au front, il déserte en juin 1915, alors qu'il a le grade de caporal. Condamné à mort par contumace par décision du conseil de guerre, il doit être fusillé pour l'exemple pour désertion. Afin d’échapper à la peine de mort, il se cache avec sa compagne chez leurs parents respectifs. Néanmoins, sa présence en ville attise les soupçons et des policiers se rendent chez lui à trois reprises, sans pour autant réussir à l’interpeller. Paul doit alors trouver un subterfuge pour se camoufler. Sur les conseils de Louise, il décide de se travestir en femme. Sa menue corpulence lui permet en effet de rendre l’illusion parfaite, moyennant une nouvelle garde-robe et un peu de maquillage. Louise lui perce les oreilles, lui prête ses vêtements. Il se maquille, se laisse pousser les cheveux, s’épile et change sa voix. Ce sont désormais deux femmes qui vivent ensemble, Suzanne Landgard et Louise Landy, ce qui n’attire pas trop l’attention en temps de guerre et pendant les années folles. Commence alors une nouvelle vie pour le Parisien Paul Grappe/Suzanne Landgard, alias Suzy. Prostitution, échangisme, partouzes. Le tout accompagné par la mode des garçonnes, ces femmes aux cheveux courts qui firent tourner les têtes dans les années 1920. Suzy au bois de Boulogne, Suzy et les lesbiennes, Suzy fait du parachute à Vincennes... Et, toujours, Louise qui fait bouillir la marmite tout en participant aux effusions de son monsieur-madame. Sur sa demande, elle accepte même de prendre un amant puis d'héberger sa maîtresse au domicile conjugal.

 

Suzanne devient homme. 

 

À la suite de l'élection du Cartel des gauches en 1924, la Chambre des députés vote le 3 janvier 1925 la loi d'amnistie des déserteurs. Paul Grappe peut de nouveau vivre sous sa vraie identité et demande à l'officier de la prévôté d'être rayé des contrôles de désertion et de recouvrer tous ses droits. Paul Grappe se déclare le 28 janvier 1925 et est rayé des « contrôles de désertion ». On ne sait pas combien d’hommes ont bénéficié de cette amnistie, mais l’histoire de Paul est suffisamment extraordinaire pour qu’une semaine après, elle fasse le tour des rédactions. Paul Grappe passe ainsi de dix ans de clandestinité à une notoriété soudaine où la presse mais aussi les lecteurs et la science s’intéressent à lui. Il reçoit de nombreux courriers de lecteurs après la mention dans les journaux de son épilation à l’électrolyse. Dans les semaines qui suivent, Paul provoque quelques petits scandales. Alors qu’on lui propose de faire un reportage sur son lieu de travail, son ancienne patronne, mère d’un mutilé de guerre, refuse et Paul, habillé en femme, finit au poste de police. Le mois suivant, « L’Humanité » le défend quand sa propriétaire veut l’expulser, prétextant que le bail est au nom de Suzanne. En avril, il est arrêté pour exhibitionnisme et accusé d’attentat à la pudeur.

 

Troubles de l’identité.

 

Sur le plan identitaire, l’homme ressort chamboulé de dix ans de travestissement et ne sait plus qui il est vraiment. Encore vagabond, il passe ses nuits sur les bords de la Marne et boit beaucoup, à en devenir alcoolique. Il s’exhibe dans les cafés, habillé en femme, y raconte son histoire et montre son album de photographies. Alors que Louise est enceinte, Paul, de plus en plus violent, arrête de travailler. Un soir, le 28 juillet 1928, c’est la gifle de trop : Louise l’abat avec un pistolet. Elle se constitue prisonnière dans l’heure, mais perd dans le même temps son fils d’une méningite.

 

Un singulier procès. 

 

La préméditation, en d’autres termes, le « dessein formé avant l’action de commettre un crime ou un délit déterminé »comme le définit le Code pénal n’est pas retenue. La légitime défense est entérinée. Louise Landy se trouvait bien dans une situation où elle devait transgresser la loi pour se défendre, elle et son enfant. Cependant, certains éléments restent inexpliqués : Louise Landy affirme que son geste est la suite d’une terrible dispute durant laquelle son mari devient violent envers elle, lui assénant même plusieurs coups. Néanmoins, le voisinage dit n’avoir entendu aucun bruit. Autre fait troublant : elle affirme avoir utilisé une arme déjà chargée. Les policiers en charge de l’affaire trouvent une balle de revolver au sol, laissant supposer qu’elle aurait pu charger elle-même le revolver. Paul Grappe est retrouvé à l’agonie dans son lit, ce qui peut laisser penser qu’elle ait tiré quand il dormait. Enfin, l’existence de Paco, ancien amant de Louise Landy suscite quelques suspicions. Malgré le doute, elle n’est pas inculpée pour assassinat ce qui impliquerait une préméditation à son geste, mais pour meurtre. Cette distinction est importante au regard des peines encourues : le meurtre est passible de prison, l’assassinat de la peine de mort. Elle est défendue par Maurice Garçon, célèbre avocat français de l’entre-deux-guerres, connu pour avoir assuré la défense de nombreuses figures littéraires. Ce dernier, après une plaidoirie audacieuse, arrive à inverser les rôles. Louise Landy, meurtrière, devient victime. Les révélations des frasques de Paul dressent un portrait peu flatteur d’un homme déjà condamné par la société pour sa désertion, ses mœurs et son alcoolisme chronique. Le cas de Louise Landy attendrit les magistrats et les jurés. L’opinion publique la soutient, d’autant plus qu’elle perd durant sa détention son jeune fils. Le président de la Cour Raymond Bacquart, connu pour son intransigeance, est d’une étonnante bienveillance envers l’accusée. On lit même dans les colonnes du Journal Paris soir : « Rarement débats se sont ouverts dans une atmosphère aussi favorable à l’accusée ». La presse entière suit de près ce procès. Paul Grappe, par son histoire, est déjà comme une figure connue du grand public. Il est loin de faire l’unanimité dans une France encore très meurtrie par la guerre, où la désertion est perçue comme une lâcheté impardonnable.

 

 

Épilogue 

 

Les journaux de manière générale alimentent l’image d’un homme dépravé et sans morale. De nombreuses affirmations sur ses mœurs, dont certaines infondées, sont largement relayées. Seule la presse proche de l’ultra gauche voit en Paul Grappe un prolétaire victime de la société et des conséquences de la guerre. Au final, la Cour n’a pas voulu ajouter une tragédie à celle déjà vécue.  Bienveillante et compréhensive elle acquitte Louise Landy.

Après l'acquittement, Louise s'est remariée, et on a quasiment perdu sa trace jusqu'à sa mort, en 1981, à l'âge de 89 ans.

L'histoire de Paul Grappe et de son épouse a notamment inspiré en 2013 la bande dessinée « Mauvais genre », en 2016 la pièce de théâtre « Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe » de Julie Dessaivre, et en 2017 le film « Nos années folles »réalisé par André Téchiné.

 

Pour en savoir plus :

 

La Garçonne et l'Assassin. Histoire de Louise et de Paul, déserteur travesti, dans le Paris des années folles, Fabrice Virgili et Danièle Voldman, Payot,

 

https://www.memoires-en-jeu.com/varia/laffaire-paul-grappe-trouble-dans-le-mauvais-genre/

 

Cliquez ici pour télécharger l'article :

 

paul_grappe.pdf



18/02/2022
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