Fiche de lecture : Dans l’ombre
Arnaldur Indridason : Paris, Métaillé, 2017.
Résumé
Un représentant de commerce est retrouvé dans un petit appartement de Reykjavik, tué d’une balle de Colt et le front marqué d’un “SS” en lettres de sang. Rapidement les soupçons se portent sur les soldats étrangers qui grouillent dans la ville en cet été 1941.
Deux jeunes gens sont chargés des investigations : Flovent, le seul enquêteur de la police criminelle d’Islande, ex-stagiaire à Scotland Yard, et Thorson, l’Islandais né au Canada, désigné comme enquêteur par les militaires parce qu’il est bilingue.
L’afflux des soldats britanniques et américains bouleverse cette île de pêcheurs et d’agriculteurs qui évolue rapidement vers la modernité. Les femmes s’émancipent. Les nazis, malgré la dissolution de leur parti, n’ont pas renoncé à trouver des traces de leurs mythes et de la pureté aryenne dans l’île. Par ailleurs on attend en secret la visite d’un grand homme.
Les multiples rebondissements de l’enquête dressent un tableau passionnant de l’Islande de la “Situation[1]”, cette occupation de jeunes soldats qui sèment le trouble parmi la population féminine. Ils révèlent aussi des enquêteurs tenaces, méprisés par les autorités militaires mais déterminés à ne pas se laisser imposer des coupables attendus.
Dans ce roman prenant et addictif, le lecteur est autant fasciné par le monde qu’incarnent les personnages que par l’intrigue, imprévisible.
La « situation » de l’Islande
Avec le premier tome de cette trilogie, Indridason confirme le virage pris son précédent roman « l’opération Napoléon[2] ». Adieu Erlendur Sveinsson, le mélancolique enquêteur de Reykjavik qui nous accompagnait depuis la parution de la « Cité de Jarres » en 2000. Ce commissaire islandais cousin germain de Kurt Wallander et de Martin Beck trainait sa mélancolie et ses problèmes familiaux dans les sombres dessous de la société islandaise d’aujourd’hui. L’Islande a été relativement épargnée par l’invasion nazie, sa position géographique en faisait une base de surveillance idéale, pour les américains et les britanniques. De nombreuses bases britanniques et américaines ont été implantées dans le pays durant cette période. Indridason décrit ici l’évolution de la société islandaise, passant d’un petit bout de caillou perdu dans l’Atlantique nord, peuplé de paysans et de pêcheurs, vivant en vase clos dans les campagnes éloignées des villes, à un point stratégique pour les Alliés. Ce changement vers la modernité ne s’est pas fait sans mal, et l’auteur décrit une population sur ses gardes, peu enclin au changement, à contrario des femmes islandaises qui ont trouvé là un moyen de s’émanciper au bras de militaires étrangers. Au-delà du changement du cœur de l’intrigue des romans, Indridason opère un véritable bouleversement dans son style et sa manière d’écrire. Le lecteur, habitué au rythme lent de l’enquête, entrecoupée de longues descriptions des volcans ou des turbulentes tempêtes de neige, sera un peu dérouté par ces investigations menées tambour battant. L’histoire a pris, en quelque sorte, le pas sur le décor. L’auteur ne nous perd pas dans des détails historiques inutiles, et pourtant il en distille, petit à petit, de manière à provoquer le sentiment d’un récit dans lequel on s’y immerge volontiers. Ajoutons que l’éditeur a eu la bonne idée d’inclure les premières pages du deuxième élément de la trilogie : « La femme de l’ombre », de quoi nous faire saliver !
L’auteur
Indridason s’est construit au sein du polar nordique une place équivalente à celle de Mankell, Stalessen ou Maj Sjöwall et Per Wahlöö (pardon à ceux que j’oublie). Il est né en 1961 à Reyjavik. D’abord journaliste et critique de cinéma, les lecteurs français l’ont découvert en 2005 avec « La cité des Jarres ».
Bibliographie [3]
Romans dans lesquels apparaît Erlendur Sveinsson :
La Cité des Jarres (Métailié, février 2005. Points Policier, janvier 2006) Prix Cœur noir, Prix Mystère de la critique en 2006, Prix Clé de verre en 2002 du roman noir scandinave.
La Femme en vert (Métailié février 2006. Points Policier en janvier 2007) Prix Clé de verre en 2003 du roman noir scandinave, Prix “The CWA Gold Dagger” en 2005(UK), Grand Prix des lectrices de Elle Policier en 2007, Prix Fiction 2006 du livre insulaire de Ouessant
La Voix (Métailié, février 2007. Points Policier, janvier 2008) Prix “The Martin Beck Award” en 2005′, Grand Prix de Littérature Policière 2007, Lauréat du Trophée 813
L’Homme du Lac (Métailié, février 2008. Points Seuil, mai 2009)
Hiver arctique (Métailié février 2009. Points Seuil, mai 2010)
Hypothermie (Métailié février 2010. Points Seuil, mai 2011)
La rivière noire (Métailié, février 2011. Points Seuil, mai 2012)
La muraille de lave (Métailié, mai 2012)
Etranges rivages (Métailié en février 2013. Points Seuil en mai 2014)
Le duel (Métailié en février 2014, Points en mai 2015)
Les nuits de Reykjavik (Métailié en février 2015, Points en mai 2016)
Le lagon noir (Métailié en mars 2016)
Autres romans
1 Betty (Métailié en octobre 2011)
2 Le livre du roi (Métailié en septembre 2013)
3 Opération Napoléon (Métailié en octobre 2015)
A signaler un très bon dossier sur l’auteur :
http://amisbiblioplehedel.fr/arnaldur-indridason-1-vie-oeuvre/
Un extrait du roman
Il y avait ici une foule de jeunes femmes aux cheveux joliment bouclés qui accompagnaient des soldats. Thorson entendait les rires communicatifs exploser sur les lèvres bien rouges, il voyait la joie de vivre briller sous les cils maquillés et les robes qui virevoltaient au rythme du jazz.
Arnaldur Indridason
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[1] En islandais, ce mot désigne la période où l’Islande était occupée par les troupes britanniques puis américaines (entre 1940 et 1945). Le mot renvoie également aux liaisons entres les soldats et les femmes islandaises : dire qu’une femme était dans la « situation » signifiait qu’elle entretenait une relation avec un soldat étranger.
[2] Paru en 2015 en version française, mais édité en 1999 en langue originale.
[3] Les dates sont celles de la parution en français
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