Andrée Viollis, sur les pas d’Albert Londres.
Andrée Viollis est aujourd’hui un peu tombée dans l’oubli. Contemporaine du dénonciateur du bagne, elle s’est aussi plongée dans la misère humaine. Andrée Viollis (1870-1950) était aussi célèbre qu’Albert Londres (voir https://www.pierre-mazet42.com/albert-londres-sur-la-piste-des-malheurs-du-monde ) dans l’entre-deux-guerres. Grande reporter, elle parcourut le monde, de l’URSS à l’Afghanistan dans les années 20, de l’Inde au Japon en passant par l’Indochine et la Chine dans les années 30, des Etats-Unis à l’Afrique du Sud après 1945. Elle couvrit plusieurs conflits armés, notamment la guerre civile espagnole. Mais, elle se démarque de son illustre confrère en prenant publiquement des positions politiques. Elle embrassa ainsi la cause féministe, milita contre le colonialisme et devint une porte-parole de l’antifascisme. Elle est toutefois ressortie de ce relatif anonymat grâce à la publication de deux ouvrages :
- Anne Renoult, Andrée Viollis. Une femme journaliste (2006) ;
- Alice-Anne Jeandel, Andrée Viollis : une femme grand reporter. Une écriture de l’événement, 1927-1939, (2007).
Une éducation rare pour une femme de cette époque.
Andrée Viollis est la fille d’un préfet du Second Empire et d’une mère salonnière qui invitait les personnalités littéraires de la IIIe République. En 1890, après l’obtention de son baccalauréat, elle passe trois ans en Angleterre en tant que préceptrice, tout en suivant des cours à Oxford. Elle poursuit des études supérieures en France et obtient une licence ès-lettres à la Sorbonne. Elle s’oriente vers le journalisme et fait ses débuts au sein du journal féministe La Fronde de Marguerite Durand où elle découvre le journalisme d’investigation et d’idée. Elle y publia plus de 500 articles, y défendit le capitaine Dreyfus, les idéaux républicains et le droit des femmes. « Rien ne vaut cette indépendance, cette fierté d’exister par soi-même, de vouloir et de faire sa vie, écrivait-elle en 1901. […] Tout ce que nous voulons, c’est que l’on respecte en nous la dignité de l’être humain, sans souci du sexe. […] Si les hommes nous traitaient comme d’autres eux-mêmes nous n’aurions pas à revendiquer, pour le travail égal, l’égal salaire. »
À partir de 1914, elle s’engage sur le front en tant qu’infirmière. Le Petit Parisien publie ses reportages auprès des blessés et l’envoie en 1917, à Londres interviewer le Premier ministre anglais. Ensuite, elle s’oriente vers le grand reportage et couvre les domaines les plus divers : manifestations sportives, grands procès, interviews politiques, correspondances de guerre.
Une journaliste engagée.
Loin de se cantonner aux canaux de la presse littéraire où les femmes ont réussi à se faire une place depuis le XIXe siècle, elle conçoit la presse comme un espace d’expression, une tribune où elle ne tarde pas à prendre position. À ses préoccupations constantes en lien avec la question féminine s’ajoute un vif intérêt pour l’actualité politique à l’échelle nationale et internationale qui l’amène, pendant la Première Guerre mondiale et au début des années 1920, à collaborer avec Le Petit Parisien et plusieurs journaux étrangers tels que le Daily Mail et le Times (1919-1922). Son virage vers le reportage politique, branche noble du journalisme traditionnellement réservée aux hommes, se produit en 1926 avec son séjour en Union soviétique pour Le Petit Parisien dont elle tire l’ouvrage Seule en Russie. Elle témoigne de la guerre civile afghane en 1929, de la révolte indienne en 1930. Elle accompagne le ministre des Colonies Paul Reynaud en Indochine en 1931. Elle donna à son retour à la revue Esprit ses « Quelques notes sur l’Indochine » (parues le 1er décembre 1933 dans un numéro consacré à « La Vérité en Extrême Orient ») dans lesquelles elle révélait les cruautés de la répression, les méthodes de l’administration française, le refus des libertés élémentaires pour les indigènes ; elle publia ensuite son fameux Indochine SOS, chez Gallimard, avec une préface d’André Malraux. Indochine SOS valut à Viollis de nombreux comptes rendus et commentaires, élogieux ou hostiles. Elle trouva auprès de ses amis des marques de soutien, comme le banquet qui fut organisé en son honneur et en celui de Félicien Challaye à la fin de décembre 1935. Le SOS de Viollis se fit assurément entendre, même si le problème indochinois, et plus largement le problème colonial, paraissait moins menaçant que les manœuvres hitlériennes. Cette publication renforça la légitimité de Viollis à intervenir sur les questions coloniales. La notoriété de Viollis, la reconnaissance professionnelle dont elle jouissait, profitèrent aux partisans des réformes coloniales. La conscience politique d’Andrée Viollis ne naît pas au contact de cette actualité brûlante. Dès le tournant du XXe siècle, elle se réclame « du socialisme réformisme de Jaurès et prend la défense, dans nombre de ses écrits, des idées républicaines. Ses activités de grand reporter ont toutefois un impact dans la mesure où elles contribuent à renforcer ses convictions, pacifistes notamment. Plus encore, elles font d’elle le témoin direct de la montée des fascismes contre laquelle elle se mobilise. Elles s’associe à la campagne de soutien en faveur du communiste Georges Dimitrov et à divers comités et associations de lutte contre le fascisme hitlérien (Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, Commission d’enquête sur les atrocités hitlériennes dont elle assure la présidence). Pendant le Front populaire, elle s’engage aux côtés des intellectuels antifascistes et codirige avec André Chamson et Jean Guéhenno l’hebdomadaire politico-littéraire Vendredi, où elle défend la cause de la République espagnole et des peuples victimes de la colonisation française. En 1938, elle entre à la rédaction du quotidien communiste Ce soir, dirigé par Louis Aragon et Jean-Richard Bloch.
Une autre vision de la guerre d’Espagne.
Dès les premiers instants de la guerre d’Espagne, comme la plupart des intellectuels européens de gauche, elle apporte spontanément son soutien à la République attaquée. Elle a alors plus de 65 ans et n’est novice ni en matière de prise de position par l’écrit ni en matière de conflit armé. Mais parce que le « drame » espagnol est, elle le pressent, « le prélude d’un autre plus grand », elle s’y engage avec rigueur et vigueur en se rendant à quatre reprises en territoire républicain. Ces quatre séjours s’échelonnent sur la quasi-totalité de la guerre, le premier débutant à Barcelone quelques jours seulement après le soulèvement du 18 juillet 1936 et le dernier s’achevant à Minorque (Baléares) en décembre 1938. Entre ces deux dates, Andrée Viollis observe, recherche, rencontre et écoute, au fil d’un itinéraire qu’il est possible de reconstituer grâce au récit minutieux qu’elle en livre dans plusieurs journaux français. Car elle se rend avant tout en Espagne en tant qu’envoyée spéciale, ce qui confirme combien elle s’est d’ores et déjà fait une place dans le milieu encore très largement dominé par les hommes du reportage politique. Elle y couvre dans un premier temps le conflit pour le quotidien d’information de la gauche modérée Le Petit Parisien (été 1936 ; septembre – novembre 1936), puis pour Vendredi (septembre 1936 – avril 1937) et enfin, pour le quotidien communiste Ce Soir (novembre 1938 – janvier 1939). Pour chacun, elle multiplie les lieux (Barcelone, Madrid, Tolède, Cordoue, etc.) et les interlocuteurs (civils, militaires et responsables politiques), appliquant sans relâche une conception exigeante de l’activité journalistique définie en ces termes quelques années auparavant : « Je commence par étudier l’histoire, la religion, les mœurs du pays où je suis envoyée […] Mais aussitôt sur place, je passe un coup d’éponge sur mon esprit comme sur une ardoise. [Je suis] réduite à l’état de plaque sensible ».
À cette volonté constante de rendre compte de la situation s’ajoute un second objectif que l’orientation des publications auxquelles elle collabore, ses condamnations systématiques du pacte de non-intervention signé en août 1936 ou encore ses propos élogieux à l’égard des Brigades internationales viennent mettre en évidence : mobiliser. Face aux impératifs de la guerre, Andrée Viollis fait certes du grand reportage un espace d’information mais elle élève surtout l’écriture au rang d’arme au service de la lutte. Elle est en cela représentative d’une tendance très largement majoritaire parmi les intellectuels européens de gauche présents en Espagne entre 1936 et 1939 pour qui l’engagement en faveur de la République s’incarne dans la mobilisation, notamment d’un front intellectuel antifasciste international.
Reporter jusqu’à la mort.
Proche des milieux intellectuels communistes, elle s’engage dans la Résistance en zone Sud pendant la Seconde Guerre mondiale, et met sa plume au service de cet engagement. Elle passe la guerre à Lyon et Dieulefit. Elle publie alors Le Racisme hitlérien, machine de guerre contre la France et participe au Comité national des écrivains, organisation de la résistance littéraire dirigée par Louis Aragon. En 1945, Andrée Viollis travaille de nouveau avec Ce soir. Elle écrit également dans quelques publications de la mouvance communiste. Elle reprend les grands reportages, ce qui l'amène à voyager en Afrique du Sud.
À 76 ans, elle présente Hô Chi Minh, en visite officielle en France le 2 juillet 1946 pour la conférence de Paix de Fontainebleau, à sa collègue débutante Madeleine Riffaud, avant de partir en reportage au début de 1947 en Afrique du Sud et à Madagascar pour Ce soir au moment où un débat sur les « atrocités françaises » en Indochine agite l'opinion à partir de la fin de 1949 quand le livre Indochine SOS, décrivant Hô Chi Minh comme l’incarnation de l’esprit de la Résistance, fut réédité par le PCF sur fond de décolonisation (Inde en 1947, Birmanie en 1948). Elle décède à Paris en 1950.
Complément biographique
Elle se marie très tôt avec Gustave Téry, normalien, agrégé et professeur de philosophie, avec qui elle a deux filles dont Simone Téry, elle-même journaliste (voir https://maitron.fr/spip.php?article132213 ) . Elle divorce en 1901. Elle épouse en 1905 Henri d'Ardenne de Tizac historien de l’art chinois classique et conservateur du musée Cernuschi. Il est auteur de romans sous le pseudonyme de Jean Viollis et le couple a eu deux filles. Avec lui, elle s’investit dans un journalisme littéraire où elle déploie ses talents de critique, chroniqueuse, feuilletoniste et conteuse. Elle adopte le pseudonyme de Viollis.
Andrée et Albert Londres.
Elle connaissait Albert Londres depuis 1925. Celui-ci racontait en 1927 dans les Nouvelles littéraires : « Où Andrée Viollis nous faisait bouillir le sang c’était aux télégraphes internationaux. Nous avions beau écrire à cent à l’heure, ne pas déjeuner, sauter ensuite, sans avoir séché notre encre, dans les autos les plus puissantes, promettre au chauffeur de payer généreusement les contraventions que lui vaudrait un excès de vitesse, quand, essoufflé, suant et affamé, nous arrivions au guichet, elle était là ! ». Elle même écrivit à propos d’Albert Londres : « Il ne se bornait pas à voir et à comprendre, il créait avec une imagination qui touchait au génie. il était historien mais encore il était poète. Son regard aux lueurs aiguës observait avec une terrible lucidité, puis son originale fantaisie donnait un grand coup d’aile ».
Pour en savoir plus :
Outre les deux livres cités, on peut consulter :
https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2017-1-page-38.htm
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