Aux sources de la destinée manifeste : l’expédition de Lewis et Clark.
Le 30 avril 1803, est signé, à l’hôtel Tubeuf à Paris, le traité de cession de la Louisiane. Par la magie d’un trait de plume, les États-Unis voyaient leur superficie doubler en échange d’un montant modique (environ 256 millions de dollars aujourd’hui). Cette acquisition avait provoqué de sérieux débats au sein de la classe politique américaine. Car l’offre de Bonaparte était inattendue. Les Américains se seraient contentés d’un accès garanti à la Nouvelle-Orléans, offrant un débouché sur le golf du Mexique. Beaucoup d'Américains protestèrent à l'époque, car ils estimaient que jamais la « vente d'un désert » n'avait été aussi élevée. Dans leur grande majorité, ils estimaient que c'était tout de même cher payé pour un « désert de marécages » moyennement fertile. Cependant, Jefferson, le président de l’époque, n’avait pas attendu l’acquisition de la Louisiane pour s’intéresser aux territoires situés au-delà du Mississipi.
La genèse d’une expédition.
Sitôt élu à la présidence, Jefferson décida de réaliser son vieux rêve d'identifier un passage vers le Pacifique. Il recruta un jeune militaire, Meriwether Lewis, qui s'était déjà porté volontaire pour une expédition vers l'Ouest. À l'été 1802, on peut les imaginer dévorant le récit des voyages d'Alexander Mackenzie. Celui-ci s'est rendu au bord Pacifique en 1793, mais il restait à trouver une voie navigable. Lewis suit des cours intensifs de toute nature et s'affaire aux préparatifs. Il se rend compte de l'ampleur du défi. Il se tourne vers son ami William Clark et lui propose de codiriger l'expédition. Ils formeront une paire formidable, mais ce n'était pas suffisant pour en assurer le succès.
Depuis longtemps, les Français avaient identifié le Missouri comme pouvant être la route à suivre pour atteindre la mer de l'Ouest. D'ailleurs les plus perspicaces avaient compris que le Missouri était en réalité le prolongement du Mississippi. À partir de l'embouchure du Missouri, le Mississippi en prenait toutes les caractéristiques, « les eaux deviennent troubles et limoneuses », raconte un compagnon de La Salle. Si les Européens étaient arrivés de l'ouest, c'est le haut Mississippi qui aurait été qualifié d'affluent. La vente du territoire de la Louisiane se concrétise à l'été 1803. Lewis est alors encore coincé à Pittsburgh où il attend le bateau spécial qu'il a fait construire. Il se plaint de l'ivrognerie de l'artisan concerné, mais ce délai assurera indirectement le succès de son entreprise. Tout le calendrier fut décalé. Au printemps 1804, les habitants de Saint-Louis virent flotter le drapeau espagnol remplacé par le drapeau tricolore. À la demande de la population majoritairement française, on laissa les couleurs françaises flotter jusqu'au lendemain pour faire place au drapeau rayé et étoilé des États-Unis. En 48 heures, avaient été résumées des tractations plus ou moins secrètes impliquant l'Espagne, la France et les États-Unis.
Lewis et Clark allaient donc circuler en territoire américain, au moins jusqu'à la source du Missouri. Pour les Américains, c'était vraiment une terra incognita.
Une expédition au long cours.
L’expédition va durer deux ans et demi, et parcourir 15 000 kilomètres. Elle quitta Camp Dubois le 14 mai 1804. Sous le commandement de Clark, ils remontèrent le fleuve Missouri dans leur quillard et deux pirogues jusqu'à St. Charles (Missouri) où Lewis les rejoignit six jours plus tard. Bien que les comptes varient, on pense que le Corps comptait jusqu'à 45 membres, y compris les officiers, le personnel militaire enrôlé, les volontaires civils et l'esclave afro-américain de Clark, York.
De Saint Louis au Pacifique
Au cours du long et chaud été, ils remontent laborieusement la rivière. De nombreuses embûches navales, tels que des bois flottants ou des rives qui s’effondrent ou des chutes d’eaux torrentielles les ralentissent. C’est à ce moment que le sergent Charles Floyd meurt à la suite d’une appendicite, seul décès d’un membre de l’expédition. Au cours de l'hiver 1804–05, le groupe construit Fort Mandan, près de l'actuel Washburn, dans le Dakota du Nord. Ils passent cinq mois à Fort Mandan, chassant, récoltants des informations sur leur future route auprès des Indiens et des trappeurs canadiens qui vivaient dans les alentours. Un Canadien-français nommé Toussaint Charbonneau vint leur rendre visite en compagnie de sa jeune femme enceinte, une shoshone nommée Sacagawea. Sa tribu d’origine vivait dans les montagnes rocheuses à l’ouest. Elle avait été kidnappée par les Indiens des plaines cinq ans plus tôt lorsqu’elle avait douze ans, emmenée dans le Dakota et avait été ainsi vendue à Charbonneau. Sacagawea parlait le shoshone et le minitari et les responsables de l’expédition réalisèrent qu’elle pourrait être un élément de valeur en cas de rencontre avec les shoshones. Ensuite, ils suivirent le Missouri jusqu'à ses sources. Sacagawea leur apprit qu’ils entraient maintenant sur les terres de sa tribu et Lewis partit en avant afin de rencontrer les shoshones. A la mi-août, il atteignit une cascade qu’il nomma « la fontaine la plus éloignée » du Missouri. Au-delà, il y avait des montagnes enneigées et l’eau partait vers l’ouest. Il sut ainsi qu’il avait franchi la ligne de partage des eaux entre l’atlantique et le pacifique.
Enfin le Pacifique.
L'expédition aperçut l'océan Pacifique pour la première fois le 7 novembre 1805. Elle doit faire face à son deuxième hiver amer campé du côté nord du fleuve Columbia, dans une région ravagée par la tempête. Le manque de nourriture se faisait cruellement sentir. L'élan, principale source de nourriture du groupe, s'était retiré dans les montagnes, et le groupe était maintenant trop pauvre pour acheter suffisamment de nourriture aux tribus voisines. Le 24 novembre 1805, le groupe vote pour déplacer leur camp au côté sud du fleuve Columbia près d' Astoria moderne (Oregon). Ils y construisent Fort Clatsop du nom de la tribu indienne vivant dans la région. Les hommes passent l’hiver à chasser l’élan pour la nourriture, la peau pour faire des habits et des mocassins. Lewis remplit son journal avec des descriptions des plantes, oiseaux, mammifères, poissons, amphibiens ainsi que des relevés météorologiques et de nombreuses observations sur la culture indienne. Clark dessinne des illustrations de plusieurs animaux et plantes et met à jour ses cartes.
Le voyage de retour.
Le 23 mars 1806, les explorateurs commencent à remonter la Columbia dans des canoés récemment acquis auprès des Indiens. Le 30 juin, ils avaient traversé les montagnes et rejoint ce qui est maintenant la ville de Missoula au Montana. Là, l’équipe se scinde en deux. Lewis part avec neuf hommes directement vers l’est pour rejoindre les chutes d’eau du Missouri. Là, avec trois hommes, il explore la rivière Marias au nord jusqu’à rejoindre la frontière canadienne. Pendant ce temps, Clark, avec les autres hommes, se dirige vers le sud-est retournant vers la rivière Jefferson. Une partie des hommes rejoint, en canoé, le campement de Lewis aux chutes de la rivière Missouri. Clark, toujours à cheval, explore la rivière Yellowstone. Toutes les équipes se rejoignent le 12 août à la jonction des rivières Yellowstone et Missouri. Ils arrivent au village Mandan le 17 août. La famille Charbonneau quitte alors l’expédition. Le 23 septembre 1806, la troupe arrive à Saint-Louis et reçu un accueil triomphal de la part de ses habitants. L’expédition avait été exceptionnelle. Les explorateurs de Jefferson avaient couvert 15,000 Km de territoire sur une période de 2 ans, 4 mois et 9 jours.
Que reste-t-il de l’expédition Lewis et Clark.
Le périple accompli par l’expédition a démoli un mythe. Il n’existe pas de voie fluviale permettant de relier facilement l’Atlantique au Pacifique. Il faudra attendre 1905 et l’inauguration du canal de Panama pour qu’une vraie voie commerciale puisse les unir. Mais, ils ont réussi à cartographier et à établir la souveraineté des États-Unis sur les terres cédées par la France. Ils ont établi des relations diplomatiques et des échanges avec au moins deux douzaines de nations autochtones. S’ils n'ont pas trouvé de voie navigable continue vers l'océan Pacifique, ils ont localisé un sentier amérindien qui menait de l'extrémité supérieure du fleuve Missouri au fleuve Columbia et qui se dirigeait vers l'océan Pacifique. Ils ont collecté des informations sur l'habitat naturel, la flore et la faune, rapportant divers spécimens de plantes, de graines et de minéraux. Ils ont cartographié la topographie du pays, désignant l'emplacement des chaînes de montagnes, des rivières et des nombreuses tribus amérindiennes au cours de leur voyage. Ils ont également collecté une masse importante de données sur les langues et les coutumes des tribus amérindiennes qu'ils ont rencontrées, et ont rapporté nombre de leurs artefacts, y compris des arcs, des vêtements et des robes de cérémonie. Lewis et Clark ont surtout évité les conflits avec les Indiens. Et une femme amérindienne, Sacagawea, a voyagé avec l'expédition en tant qu'interprète.
Bien que l'expédition n'ait jamais eu pour but de créer des colonies dans aucune des régions traversées, Jefferson était bien conscient que des navires d'autres pays, y compris la Grande-Bretagne et la Russie, avaient déjà débarqué dans le nord-ouest du Pacifique.
Il est probable que Jefferson et d'autres Américains à l'époque craignaient que d'autres nations ne commencent à s'installer sur la côte du Pacifique tout comme les Anglais, les Néerlandais et les Espagnols s'étaient installés sur la côte atlantique de l'Amérique du Nord. L'un des objectifs non déclarés de l'expédition était donc d'étudier la région et de fournir ainsi des connaissances qui pourraient être utiles aux Américains plus tardifs qui voyageraient vers l'ouest. Elle a aussi probablement modifié la vision des Américains sur les territoires situés au-delà du Mississipi. Ce n’étaient plus des terres arides ou des déserts de marécages, mais des terres fertiles à conquérir. Elle a ainsi contribué à l’émergence de la notion de destinée manifeste, terme employé pour la première fois par le journaliste John O’Sullivan en 1845 et définit comme suit : « C’est notre destinée manifeste de nous déployer sur le continent confié par la Providence pour le libre développement de notre grandissante multitude. »
Voir : https://www.pierre-mazet42.com/la-piste-des-larmes-lautre-route-de-lamerique
Épilogue :
Le 28 février 1807, le président Jefferson choisit Lewis pour gouverneur des territoires de la Louisiane du nord. Sa carrière commençait bien, mais une controverse débuta au sujet de finances gouvernementales en 1809, l’obligeant à se rendre à Whashington. Voyageant à travers le Tennessee, Meriwether Lewis mourut le 11 octobre 1809, tué par balle dans un bar local, mort ou suicide, l’énigme reste entière.
Clark eut une longue vie et une honorable carrière dans le service public à Saint-Louis. Le 12 mars 1807, Jefferson le nomma brigadier général de la milice et des agents indiens pour la Louisiane du nord. En 1813, il fut nommé gouverneur des territoires du Missouri, position qu’il garda jusqu’à ce que le Missouri devint un état en 1820. En 1822, il fut nommé superintendant des affaires indiennes par le président Monroe. Il décéda de mort naturelle en 1838 à Saint-Louis. Quant à Sacagawea, il fallut attendre les années 2000 pour que les États-Unis lui rendent hommage en frappant une pièce de 1 dollar à son effigie.
Contribution des Canadiens-français
Canadiens-français, métis francophone constituaient un quart des membres de l’expédition. La plupart ont été recrutés à Kaskaskia, à Saint-Louis et au Fort Mandan (en tant qu’« engagés» parce qu’ils avaient des compétences particulières que l’expédition ne pouvait obtenir autrement. Ils sont énumérés ici comme dignes de reconnaissance pour leur contribution significative à ce grand exploit américain: Pierre Cruzatte (maître batelier), François Labiche (interprète linguistique), Jean-Baptiste Lepage (connaissance approfondie du cours supérieur du Missouri et des contreforts des Rocheuses), Georges Drouillard (chasseur chevronné de gibier), la famille Charbonneau (Toussaint, originaire de Boucherville au Québec, son épouse amérindienne Sacagawea, sans doute née dans le sud de l’Alberta, et leur fils Jean Baptiste, venu au monde à Fort Mandan), Charles Hébert, Pierre Pinault, François Rivet, Baptiste Deschamps, Étienne Malboeuf, Paul Primeau, René Jussaume, Pierre Roy et Jean-Baptiste La Jeunesse. Les cartes utilisées par les dirigeants de l’expédition, Lewis et Clark, étaient, dans une large mesure signées, par des Canadiens français. (voir
Pour en savoir plus :
Françoise Perriot, Sur les routes de l'Ouest : Sur les traces de l'expédition Lewis et Clark, Le Pré aux Clercs, 2004.
Cliquer ici pour télécharger le fichier :
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